On s'est apperçu que ces discutions avaient entrainé de grands boulversements... » : quatre fautes dans une phrase. Banal. Alerte. L'horreur orthographique fait des ravages dans l'enseignement supérieur. Dix, vingt, trente fautes d'orthographe dans une copie, c'est courant, à la fac comme dans le haut de gamme des cursus, les prépas, les grandes écoles. Mais l'admettre, pour beaucoup de profs, c'est un tabou. Par peur de se dévaloriser, de passer pour réac, de porter préjudice à la réputation de son université.
Pourtant, ils sont une poignée d'universitaires à briser l'omerta, à braver le regard condescendant de leurs collègues. « Certains m'ont dit : «Tout de même, on est à la fac !», raconte Isabelle Trivisani-Moreau, de l'université d'Angers. Mais moi, je regarde les choses en face. Quand on est content de ne trouver que dix fautes dans une copie d'étudiant en lettres, c'est qu'il y a un problème. » Sous sa houlette, dans l'UFR de lettres, les étudiants les plus faibles, identifiés à l'aide d'un test, s'entraînent à la dictée, à la grammaire, à l'expression écrite. « Souvent, les jeunes connaissent les règles de base mais manquent de pratique. » Quelques courageux avaient déjà lancé la mode à la fac de droit d'Orsay ou à celle de Villetaneuse, à l'IUT de Grenoble, bientôt imités par d'autres IUT. Une mode qui a des chances de s'étendre.

Car ces enseignants n'agissent pas par simple amour de la langue. Ils pensent à l'avenir de leurs élèves. L'orthographe, passion française, reste un marqueur social fort. Dans le monde professionnel, les fautes lexicales ne sont pas très bien vues, mais celles de syntaxe passent carrément pour de la négligence. Et les capacités de rédaction sont un minimum vital au travail.

«Des chefs d'entreprise nous ont chapitrés, explique Marie-Jo Saillen, de l'IUT de Grenoble-II. Ils étaient atterrés par le niveau d'expression écrite de nos étudiants en stage chez eux. » Nécessité professionnelle, donc. Et pas seulement en entreprise. «A la dixième faute d'orthographe, les membres du jury de l'Ecole nationale de la Magistrature cessent de corriger la copie. Impossible de réussir en droit sans une parfaite maîtrise de la langue », explique Gilles Dussert, de la fac de droit d'Orsay. Avec son fils Jean-Baptiste, il a mis sur pied un module « culture, expression, méthode » pour les étudiants, avec retour aux fondamentaux. Tâche immense, dit-il. Et il brandit une copie d'une page : 37 fautes. « Vingt seulement des cent quarante dictées que j'ai corrigées dernièrement comportaient moins de vingt fautes d'orthographe », explique-t-il. D'après lui, on trouve des handicapés de l'orthographe parmi les très bons élèves comme parmi les plus faibles, dans tous les milieux sociaux, dans toutes les nationalités d'origine. A l'université de Villetaneuse, en Seine-Saint-Denis, Michel Mathieu-Colas s'est attaqué au problème avec passion depuis plusieurs années : « Contrairement à ce que l'on dit, tout le monde peut progresser. » [...] Il désapprouve l'indulgence de certains profs à l'égard des jeunes de milieu modeste ou d'origine étrangère sous prétexte de ne pas les pénaliser. « Grave erreur. C'est plus tard qu'ils paieront. D'ailleurs, nos étudiants le savent bien. Conscients de leurs difficultés, ils sont très demandeurs. »
(Jacqueline de Linares, "Orthographe : rattrapage à la fac !", Le Nouvel Observateur n° 2369,  1er avril 2010)