Q – D'où vient l'expression
« passer, sauter du coq à l'âne » ?
R – L’origine de l’expression reste partiellement énigmatique.
1. Certains ont voulu voir dans l’expression « sauter du coq à l’âne»
une réminiscence d’un conte des frères Grimm, Les musiciens de Brême.
On rencontre dans cette histoire un âne, un chien, un chat et un coq,
maltraités ou abandonnés. L’âne ayant décidé un jour de quitter Brême
pour apprendre la musique, il croise successivement sur sa route les
autres animaux, avant de découvrir avec eux une maison habitée par des
brigands.
S’approchant de la fenêtre, ils imaginent un moyen de les chasser.
L’âne appuierait ses pattes de devant sur le bord de la fenêtre, le
chien sauterait sur son dos, le chat par-dessus, et le coq se
percherait sur la tête du chat. Une fois installés, ils commencent leur
musique. « L’âne brayait, le chien aboyait, le chat miaulait et le coq
chantait. » Sur quoi, ils bondissent par la fenêtre en faisant trembler
les vitres. Les voleurs prennent peur et s’enfuient.
L’explication est séduisante mais malheureusement fausse. Car
l’expression en question est attestée dès le Moyen Age, bien avant le
conte (milieu du XIXe siècle). On disait déjà, au XIVe siècle, « saillir du coq en l'asne
», puis au XVe, « sauter
du coq à l'asne ».
2. Reste l’hypothèse de Claude Duneton (La puce à l’oreille),
hypothèse personnelle fondée sur les témoignages et recherches de
lecteurs : l'expression viendrait en fait de la « maladresse » du
coq
qui, parfois, tenterait de s'accoupler avec une cane.
De fait, le terme ane
(sans accent) pouvait désigner une « cane »
jusqu'au XIIIe siècle. Quant au verbe saillir,
il avait
entre autres
sens (comme de nos jours) « couvrir une femelle » pour se reproduire.
Or il paraît qu’il n’est pas rare pour les éleveurs de voir le coq,
pauvre de lui, confondre ses épouses naturelles avec d'autres
volatiles… Le proverbe allemand « Irren
ist menschlich, sagt der Hahn,
und stieg von der Ente » (« L'erreur est humaine, dit le
coq, et il
descendit de la cane »), corroborerait cette hypothèse.
Ensuite, il y aurait eu une simple confusion avec l’homophone asne
(aujourd’hui âne).
Où est la vérité ?
Q – Je vous contacte pour un
point de langue française qui m'interpelle : D'où vient que le
participe passé de « inclure » s'écrit inclus
et incluse au féminin
alors que celui de « exclure » s'écrit exclu
et fait exclue au
féminin ?
R – Vous avez mis le doigt sur une profonde vérité : la langue et
la
logique font deux ! Ou, pour mieux dire : il y a une certaine
logique
dans la langue, mais aussi des illogismes, dus aux accidents de
l'histoire et aux fantaisies de l'usage.
Les philosophes anciens oscillaient déjà entre deux principes. Les uns
(les « analogistes ») disaient : tout est rationnel, tout
fonctionne
par
analogie ; les autres (les « anomalistes ») insistaient surtout sur
l'irrégularité. La vérité est évidemment entre les deux.
Regardez la conjugaison. Des milliers de verbes se conjuguent de
manière tout à fait régulière, sur le modèle de aimer ou de finir.
Comment nier qu'il y ait de l'ordre ? Mais tout ne marche pas comme
ça : « je vais, j'allais, nous irons... » Un jour, un étudiant,
analogiste
sans
le savoir, m'a écrit « ils étèrent » au lieu de « ils furent » !
Il faut compter aussi avec les conflits de règles. Dans le cas que vous
citez, tout se passe comme s'il y avait interférence entre deux
séries :
1) la base « conclu-/inclu-/exclu- » sur laquelle on forme très
naturellement excluons, excluaient,
exclurai, etc. (d'où exclue,
conclue)
2) le radical « conclus-/inclus-/exclus- » qu'on retrouve dans les
dérivés conclusion, conclusif,
inclusion, inclusif, etc. (d'où
inclus, -use).
Chacune des deux tendances a sa logique. Tantôt l'une triomphe, tantôt
l'autre, au gré de l'usage et de l'histoire. Le Dictionnaire de
l’Académie témoigne de cette hésitation : « exclus, use »
(1694-1762) ;
« exclu, ue, exclus, use » (1798) ; « exclue, ue » (1835-1935). On
passe d’une forme à l’autre par un superbe fondu enchaîné.
Les exemples de flottement sont innombrables : pourquoi « il jette » mais
« il achète » ? pourquoi «
les Anglais » mais « les Suédois » ? etc. Bref, il
y a du « jeu » dans la langue, à tous les sens du mot.
Excusez-moi d’avoir été si long, mais votre interpellation m’a... «
interpellé » (avec 2 « l » !).
Q – Comment écrire « lâcher
prise » : tiret ou pas
tiret ?
Un tiret quand on
s'en sert comme substantif : un
lâcher-prise, le lâcher-prise ? Pas de
tiret quand c'est un verbe ? En pleine traduction de l'anglais vers le
français, ce terme revient souvent et il nous faut prendre une
décision. Le correcteur d'orthographe indiquant systématiquement une
faute quand on met le tiret.
Merci d'avance.
R – Pas de trait d'union, naturellement, pour la locution
verbale lâcher
prise. S'agissant de la forme substantivée, le trait
d'union
correspond bien à la lexicalisation (le
lâcher-prise).
On a
d'ailleurs un précédent de même structure (Vinf + Nom) : faire
part /un
faire-part. Le trait d'union est donc
parfaitement justifié – même si,
s'agissant d'une formation nouvelle, la graphie sans trait d'union ne
saurait être considérée comme fautive.
Q – Nous sommes de la région
de Nantes, d'ici 2 ans nous allons bénéficier
d'un Tram-Train. Le pluriel serait des TRAMS-TRAINS selon la presse et
les plaquettes du Conseil général. Pour moi, il y a un « s »
qui me
dérange. le pluriel des noms composés n'est pas facile. Pouvez-vous
m'éclairer ?
R – Vous avez raison de dire que le pluriel des noms composés n'est «
pas
facile », particulièrement pour ceux d'entre eux qui comportent deux
noms (des timbres-poste,
mais des accords-cadres).
Il y a d'ailleurs
assez souvent hésitation : des
voyages-éclair ou des
voyages-éclairs.
Cela dépend en partie de la structure du composé.
Quand les deux noms
sont sur le même plan, ils se mettent généralement tous les deux au
pluriel : des
députés-maires sont à la fois « députés » et
« maires », des
moissonneuses-batteuses
« moissonnent » et « battent » en même temps. C'est
le cas dans votre exemple : des trams-trains
fonctionnent en même temps
comme des « trams » (sur voies urbaines) et comme des « trains » (sur
lignes régionales) – d'où le double pluriel.
Peut-être votre gêne
vient-elle du fait que tram
est une abréviation et que vous hésitez à
lui adjoindre un « s » ; vous accepteriez sans doute
mieux des
tramwayS-trainS
ou des trainS-tramwayS.
Mais la structure est la même.
Q – Souvent, en science, nous aimons créer de
nouveaux mots composés. Je
ne
sais jamais s'il faut coller les deux morceaux des deux mots, mettre un
tiret entre eux ou encore les laisser séparés.
Voici quelques exemples : photo
chimie, photo conversion, semi
conducteur.
Savez-vous s'il y existe une règle pour ce type de néologisme ? Et au
passage, comment fait-on le pluriel de ces mots ?
R – Comme vous pouvez vous en douter, les choses ne sont jamais très
simples, même (et surtout !) quand il s'agit de langue. Je ne peux donc
que vous donner des pistes.
Le mode de liaison des mots composés (soudure, trait d'union ou
séparation) dépend essentiellement de leur type morphologique,
c'est-à-dire leur mode de formation. Il y a de grande tendances (ce qui
n'exclut pas les variantes et les exceptions), par ex. :
– les composés sur préfixes (pré-,inter-,
etc.) sont très souvent
soudés ;
– les mots de type Verbe+Nom (gratte-ciel,
porte-parole)
s'écrivent
presque tous avec un trait d'union (portefeuille
fait exception) ;
– les composés Nom+Adjectif (fait
divers, château
fort) et Nom+de+Nom
(pomme de terre,
chemin de fer),
sont presque toujours disjoints ;
– pour les formes Nom+Nom (bébé[-]éprouvette,
voyage[-]éclair),
il y a
beaucoup d'hésitations.
Cela dit, il faut souvent regarder les mots plus en détail, en tenant
compte des « sous-ensembles » . C'est ainsi que, parmi les préfixes,
certains s'écrivent régulièrement avec un trait d'union, comme la série
mi-, demi-, semi-
que vous évoquez.
S'agissant des mots formés sur un préfixe « savant » (notamment les
formes en « -o »), la tendance actuelle est à la soudure (la
photoconductivité).
Le trait d'union subsiste essentiellement dans trois cas : pour
les
composés en voie de formation (qui ne sont pas encore complètement
lexicalisés, ce qui est le cas des néologismes) ; à titre de variante,
pour insister sur la signification de chaque élément ; pour éviter
certaines rencontres de lettres, notamment devant « i »
(photo-identification).
A noter que, pour ce type de mots, il n'y a jamais de
disjonction :
photochimie,
éventuellement photo-chimie,
mais pas photo chimie.
La formation du pluriel dépend elle aussi de la structure des mots.
– Ainsi, pour les composés sur préfixes, le premier élément est
toujours invariable, seul le nom reçoit la marque du pluriel, même s'il
y a un trait d'union (des électroaimants
ou électro-aimants).
Certaines
formes restent invariables (des après-midi),
mais elles tendent à se
normaliser.
– Pour les suites Nom de Nom, c'est le premier mot qui est fléchi ;
pour les séquences Nom Adjectif, ce sont les deux.
– Le cas le plus compliqué est celui du type Verbe+Nom, mais la
tendance, ici encore, est à la normalisation.
Q – J'ai rencontré l'expression « arithmétique spécieuse ». Qu'est-ce que cela
peut bien signifier ?
R – L'expression peut en effet paraître étrange. L'adjectif spécieux signifie étymologiquement
: "qui a une belle apparence, attrayant, séduisant" (du latin speciosus, "de bel aspect").
Autrefois, il pouvait être employé positivement, contrairement à
l'usage actuel : aujourd'hui, spécieux
est toujours péjoratif (un argument "spécieux" est séduisant... mais
sans valeur).
Pour ce qui est de votre question, l'expression "arithmétique spécieuse" est l'ancien nom de l'algèbre. On disait aussi "algèbre spécieuse", équivalent d' "algèbre
littérale". Vous en trouverez une explication dans le Robert historique :
« Au XVIIe et jusqu'à la fin du XVIIIe siècle on a parlé d'algèbre spécieuse, plus tard d'arithmétique spécieuse (1762), à cause de la beauté mathématique du calcul des quantités représentées par des lettres [...] ; l'adjectif s'opposait à nombreuse ("des nombres"). »