« Je
crois qu'il peut y avoir pour chacun de nous des moments de
saisissement, de
trouble, devant l'expression pure de la vie, une “révélation” devant ce
mystère
extraordinaire d'être en vie. » (Françoise Héritier 2012)
« Excepté l'homme, aucun
être ne
s'étonne de sa
propre existence. […] L'homme est un animal métaphysique. [...] Suivant
moi, la
philosophie naît de notre étonnement au sujet du
monde et de
notre
propre existence, qui s'imposent à notre intellect comme une énigme
dont la
solution ne cesse dès lors de préoccuper l'humanité. »
(Schopenhauer)
« La conscience
est un être pour
lequel il est dans son être question de son
être. » (Sartre 1943)
« Si j'envisage
ma venue au
monde, – liée à la
naissance puis
à la
conjonction d'un homme et d'une femme, et jusqu'à l'instant de la
conjonction – une chance unique décide de la possibilité de ce
moi que je
suis : en réalité
l'improbabilité folle du seul être sans lequel, pour moi, rien ne
serait. La plus
petite différence dans la suite dont je suis le terme : au
lieu de
moi
avide d'être moi, il n'y aurait qu'un autre, il n'y aurait quant à moi
que néant comme si j'étais mort. » (Georges Bataille 1943)
« Pas
souhaité vivre. Comment se sont rencontrés mes parents ? Si
l'ouvreuse
avait placé mon père ailleurs ce jour-là... » (M. Quérin 1962)
« To myself I
am the most
important person in the world ; though I do not forget that, not even
taking into consideration so grand a conception as the Absolute, but
from the standpoint of common sense, I am of no consequence whatever.
It would have made small difference to the universe if I had never
existed. » (Somerset Maugham 1938)
« C'est tout un
monde que chacun
porte en lui ! un monde ignoré qui naît et qui meurt en silence
! » (Musset)
« Le sentiment
de l'existence
dépouillé de toute autre
affection est par lui-même un sentiment précieux de contentement et de
paix... » (Rousseau)
Du
cerveau à la
conscience
« Notre
conscience et
notre pensée,
si transcendantes qu’elles nous
paraissent, ne sont que le produit d’un organe matériel, corporel, le
cerveau. La matière n’est pas un produit de
l’esprit, mais l’esprit n’est lui-même que le produit le plus élevé de
la
matière. » (Engels 1888)
« L’encéphale
de l’homme
se présente à nous comme un gigantesque assemblage de dizaines de
milliards de “toiles d’araignées” neuronales enchevêtrées les
unes aux autres dans lesquelles “crépitent” et se propagent des
myriades
d’impulsions électriques prises en relais ici et là par une riche
palette de
signaux chimiques. » (Jean-Pierre Changeux 1983)
« Que nous dit
[...]
l’expérience ?
Elle nous montre que la vie de l’âme ou, si vous aimez mieux, la vie de
la conscience, est liée à la vie du corps, qu’il y a solidarité entre
elles, rien de plus. Mais ce point n’a jamais été contesté par
personne, et il y a loin de là à soutenir que le cérébral est
l’équivalent du mental, qu’on pourrait lire dans un cerveau tout ce qui
se passe dans la conscience correspondante. Un vêtement est solidaire
du clou auquel il est accroché ; il tombe si l’on arrache le
clou ; il oscille si le clou remue ; il se troue, il
se
déchire si la tête du clou est trop pointue ; il ne s’ensuit
pas
que chaque détail du clou corresponde à un détail du vêtement, ni que
le clou soit l’équivalent du vêtement ; encore moins
s’ensuit-il
que le clou et le vêtement soient la même chose. Ainsi, la conscience
est incontestablement accrochée à un cerveau mais il ne résulte
nullement de là que le cerveau dessine tout le détail de la conscience,
ni que la conscience soit une fonction du cerveau. Tout ce que
l’observation, l’expérience, et par conséquent la science nous
permettent d’affirmer, c’est l’existence d’une certaine relation entre le
cerveau et la
conscience. » (Bergson 1912)
« Dire qu’un
raisonnement est
conditionné par la vibration des neurones corticaux ce n’est pas du
tout l’éclairer en tant qu’opération mentale, ni dans sa valeur logique
ni dans sa qualité psychologique d’événement intérieur vécu par le
sujet. La pensée n’est pas et ne sera jamais, dans sa signification
humaine, un simple frisson du cortex. Aucun progrès de la neurologie
n’y changera rien car ce n’est pas la question. » (Léon
Meynard 1958a)
« En un sens
c’est [le
cerveau] qui
est l’épiphénomène, le phénomène secondaire destiné à permettre par ses
structures physiques et biologiques la manifestation de l’esprit dont
[il] n’est alors que l’instrument. C’est l’esprit qui est la réalité
première et fondamentale... » (d'après Léon
Meynard 1958b)
« On ne
ramènera jamais
les
manifestations de notre âme aux propriétés brutes des appareils nerveux
pas plus qu’on ne comprendra de suaves mélodies par les seules
propriétés du bois ou des cordes du violon qui sont nécessaires pour
les exprimer. » (Claude Bernard)
« Comment se
peut-il que quelque
chose d’aussi remarquable qu’un état de conscience se produise sous
l’effet de l’irritation d’un tissu nerveux ? Cela est tout aussi
inexplicable que l’apparition du Djinn quand Aladin frottait sa
lampe. »
(Thomas Huxley 1868)
« L’explication
même fine des
phénomènes physico-chimiques qui “accompagnent”
la vision ne peut pas rendre compte du fait même de voir. Si, en
physiologue, je suis pas à pas le cheminement de l’ “excitation”
provoquée sur la rétine jusqu’au “centre” visuel à travers la
complexité des relais [...], mon schéma aura beau être aussi adéquat
que l’on voudra aux faits, il ne pourra jamais rendre compte de ce fait
fondamental, à savoir que
je vois. »
(Jean-François Lyotard 1954)
« Une sensation
qui ne serait
pas
éprouvée resterait lettre morte, telle la couleur pour un aveugle-né ;
néanmoins tout ce que la science sait sur cette sensation, qu’elle
croit avoir expliquée, ne dépasse pas ce qu’en peut savoir cet
aveugle. »
(René Huyghe 1971)
« Qu’est-ce qui
fait que nous souffrons
effectivement de maux de
dents, ou que nous voyons bleu
le bleu du ciel ? La théorie computationnelle de l’esprit,
même
étayée sur des systèmes neuronaux complets, n’apporte aucune réponse
claire. » (Steven Pinker 2000)
« Il existe une
très étroite
corrélation entre les états mentaux vécus et les faits cérébraux
observés, en même temps qu’une différence abyssale entre eux. [...] Si,
rendu minuscule par quelque opération, je pouvais entrer dans le
cerveau de quelqu’un comme on entre dans un moulin [...], je n’y
rencontrerais jamais de la pensée, de la conscience, de la
subjectivité, mais seulement des neurones, des synapses, des
neuro-transmetteurs. » (Hubert Saget 2008)
« Si, comme l’a
suggéré
Bergson, nos
moyens d’appréhension du cerveau nous permettaient de saisir dans le
cerveau vivant le jeu des électrons, des photons, en bref, de tous les
éléments les plus subtils de l’énergie, nous saurions bien que tel
cerveau est actif c’est-à-dire pense, mais nous ne connaîtrions rien de
l’essence de sa pensée. » (Jean Lhermitte 1951)
« Comme
le
soulignait le philosophe
Thomas
Nagel
[...], nous pouvons toujours
décrire minutieusement le cerveau d’une chauve-souris, projeter sur
l’animal nos propres expériences, nous ne saurons jamais ce que ressent le
chiroptère lorsqu’il
perçoit le monde grâce aux ultrasons. [...] Ce qui demeurera à jamais
mystérieux, ce sont ces impressions subjectives que les philosophes
appellent les “qualia” : ce jaune somptueux qui
nous comble quand
nous contemplons un citron mûr, ou la nuance à couper le souffle d’un
rose ardent aperçue lors d’un coucher de soleil. [...] Ils sont, une
fois que l’on a tenté de réduire la conscience à un ensemble de faits
purement physiques, ce plus petit indéfinissable qui nous échappe. Car
comment une série de cellules disparates peut générer ces émotions et
faire naître le sentiment de soi ? Comment de la matière grise
pourrait-elle fabriquer de la conscience ? » (Rafaële
Brillaud 2011)
De l'élémentaire...
« Bien avant
l’étape du
cortex, récente, qui confère une conscience très complexe, et bien
avant l’étape du tronc cérébral, plus ancienne et plus grossière, il
existe une autre étape, qui a tous les principes de la conscience, mais
qui précède même le système nerveux. On la trouve chez des organismes
unicellulaires comme les paramécies, et elle vise déjà à réguler la
vie. Le début de la conscience est le ressenti
d’un état
de l’organisme. » (Antonio Damasio 2011)
... à l'infini
« Comment cette
masse
gélatineuse d'un kilo trois cents grammes et qui tient dans la main
peut-elle imaginer des anges, explorer l'infini, s'interroger sur sa
propre place dans le cosmos ? » (Vilayanur
Ramachandran 2011)
L'homme
dans
l'Univers
« La Terre est
une planète de
taille moyenne tournant autour d’une étoile normale dans les régions
extérieures d’une galaxie-spirale ordinaire, qui n’est elle-même
qu’une galaxie parmi les milliers de milliards d’autres dans l’univers
observable. Maintenant, le principe anthropique fort poserait que
l’ensemble de cette grande construction n’existerait que pour
nous. C’est très difficile à croire. » (Stephen Hawking 1989)
« Il est
quasiment impossible
aux êtres humains de ne pas croire qu’il existe une relation
particulière entre eux et l’univers, que la vie n’est pas seulement
l’aboutissement grotesque d’une suite d’accidents remontant dans le
passé jusqu’aux trois premières minutes, mais que, d’une certaine
façon, nous fûmes conçus dès le commencement. [...]
On a peine à croire que tout ceci n’est qu’une
partie
minuscule d’un univers écrasant et hostile. Il est plus difficile
encore de réaliser que cet univers a évolué à partir de conditions
initiales si peu familières qu’on peut à peine les imaginer, et doit
finir par s’éteindre dans un froid interminable ou dans une chaleur
d’enfer. Plus l’univers nous semble compréhensible, et plus il semble
absurde. » (Steven
Weinberg 1978)
« L'ancienne
alliance est rompue ; l'homme sait enfin qu'il est seul dans
l'immensité
indifférente de l'Univers d'où il a émergé par hasard. »
(Jacques
Monod 1970)
« Pour [Jacques
Monod],
la vie ne faisait pas partie des grandes lois de la nature ; elle était
tolérée comme une fluctuation, un peu comme l’insertion du hasard
incompréhensible dans le cadre immuable des grandes lois déterministes
de la nature. [...] Je crois que la situation aujourd’hui se retourne.
Le cerveau, la pensée deviennent l’expression suprême des lois de la
nature... » (Ilya Prigogine 1990)
« Toutes les
propriétés
de l’Univers
observables autour de nous [...] dépendent de constantes physiques
correspondant à une quinzaine de nombres. [...] On s’est aperçu que si
l’on variait un tant soit peu ces conditions physiques, l’Univers ne
pourrait pas fabriquer d’étoiles. Sans étoiles, pas d’éléments lourds
[...] pour construire la chimie nécessaire aux chaînes d’ADN qui
portent nos gènes, ou former les neurones qui sont le support de notre
conscience. L’Univers a été réglé de façon extrêmement précise pour que
nous soyons ici. Tout se joue sur un équilibre très délicat. La densité
initiale de l’Univers doit être réglée avec un précision de 1060,
comparable à celle dont devrait être capable un archer pour planter une
flèche dans une cible carrée d’un centimètre de coté qui serait placée
aux confins de l’Univers, à une distance de 15 milliards
d’années-lumière ! Un changement infime entraînerait la stérilité de
l’Univers. Nous voici donc intimement liés au cosmos. Et nous sommes là
pour lui donner du sens. » (Trinh Xuan Thuan 2011)
« A mon sens,
depuis les
années 1970
et l’élaboration du principe anthropique moderne, il est évident que
l’ajustement des constantes de la nature ne peut être dû au hasard.
[...] Je sais que, pour certains, le hasard et la théorie des multivers
suffisent à expliquer notre existence dans l’Univers, voire sa beauté.
Mais ces hypothèses ne sont pas vérifiables scientifiquement ;
elles
sont en dehors de la science. » (Jean Kovalesky 2013)
« On ne voit
pas comment
la pensée
aurait pu apparaître et grandir
dans le monde si, déjà, le monde ne l’avait portée en lui comme une
secrète tendance susceptible de lui donner enfin son couronnement et sa
parfaite raison d’être. La genèse de l’esprit à partir de la matière
est absolument impensable : jamais l’esprit ne fût sorti de son
contraire si la matière n’en eût porté en elle l’impérieuse exigence.
[...]
Il fallait
que la matière fût
ce
qu’elle est pour que la vie fût et que la vie à son tour eût les
propriétés qui lui sont propres pour qu’en elle l’esprit fît
éclosion au-dessus du psychisme inférieur qui l’annonce ou le prépare.
[...] Nous disons l’esprit,
plus encore que l’homme,
pour éviter le reproche d’anthropomorphisme et aussi parce que l’esprit
n’est pas le tout de l’homme et enfin parce que l’homme n’est peut-être
pas la fin suprême et exclusive de la grandiose dialectique d’un
univers finalisé. »
(Léon Meynard 1958b)
« L’homme n’est
peut-être pas la
seule créature au monde à détenir le privilège de la pensée. De grands
métaphysiciens, Descartes, Leibniz, nous avaient mis en garde, dès le
XVIIe siècle, contre un anthropocentrisme excessif. Mais, en
définitive, qu’il y ait ou non pluralité de mondes habités, [...]
l’esprit n’en reste pas moins roi du monde, lumière brillant sur la
seule terre des hommes ou rayonnant aussi au fond des
galaxies. »
(Léon Meynard 1958c)
« Teilhard [de
Chardin]
a toujours
pensé que le nombre des “planètes pensantes”, compte tenu des
milliards d’étoiles circulant dans des milliards de galaxies, devait
être énorme, et que la pensée, produit de la Cosmogenèse, devait
fleurir dès que les circonstances lui devenaient favorables. »
(Jean Onimus 1996)
« ... il est
dans la
nature même de
la vie d’engendrer l’intelligence partout où (et dès que) les
conditions requises sont réunies. La pensée consciente appartient au
tableau cosmologique, non pas comme un quelconque épiphénomène propre à
notre biosphère, mais comme une manifestation fondamentale de la
matière. La pensée est engendrée et nourrie par le reste du
cosmos. »
(Christian de Duve 1996)
« Si le
psychisme et
l'intelligence
ont finalement émergé de l'Évolution, c'est certainement bien qu'en
quelque
manière ils lui étaient déjà présents à l'origine. » (Olivier
Costa de Beauregard 1963)
« Il fallait
que la vie
et la pensée
soient déjà inscrites dans les potentialités de l’Univers
primitif. » (Hubert Reeves 1998)
« L'Univers
donne naissance à
des êtres conscients. Les êtres conscients donnent un sens à
l'Univers. »
(D'après J.A. Wheeler 1975)
« M. Mounier-Kuhn :
Quelle est
la
place de l’homme dans cet univers ?
— H. Reeves :
Ici, je n'ai
pas beaucoup d'idées claires. J'ai
surtout des
questions que je n'arrive pas à formuler convenablement, II m'est plus
facile de définir ma position par rapport à d'autres “visions”. Par
exemple celle de Jacques Monod, lorsqu'il écrit que “1a matière n’est
pas grosse de la vie et la vie n'est pas grosse de l'homme”. Ou encore
celle de Lévi-Strauss : “L'univers est né sans l'homme et il
mourra
sans l’homme.” II me semble au contraire que l'être humain est une
partie essentielle de l'économie de l'univers. [...]
Sur notre planète, le “fruit” le plus avancé de
[la]
gestation cosmique
c’est l’être humain capable de prendre conscience de sa propre
existence, capable de connaître l’univers qui l’a engendré... Il n’est
pas absurde de dire que l’univers a évolué ‘comme si’ il voulait
engendrer un être capable de prendre conscience de sa propre existence
(tout en reconnaissant le caractère parfaitement anthropomorphique de
cette proposition). On peut aujourd’hui sans se dégrader
intellectuellement faire sienne l’idée que l’univers est en définitive
une machine à fabriquer de la conscience. Et que cela prend quinze
milliards d’années. Mais pourquoi ? Dans quelle finalité ? Cela je n’en
ai pas la moindre idée. [...]
— E. Morin :
[...] Ceci
m’amène à penser, dans le prolongement de
ce que
dit Reeves, à un passage extraordinaire, pour moi, du mathématicien
Spencer Brown. Il dit à peu près ceci : ‘à supposer que
l’univers
ait
eu envie de prendre conscience de lui-même, il faudrait qu’il se
distancie de lui-même pour pouvoir se considérer’. Il faudrait donc
qu’il lance en dehors de lui une sorte de pédoncule ou de pseudopode,
qu’il soit assez étranger à l’univers pour qu’il puisse se regarder.
Autrement dit, l’univers n’est pas capable de se réfléchir soi-même,
s’il ne se distancie pas par rapport à lui-même. C’est comme notre
conscience : elle a besoin de se dédoubler. Donc si nous sommes là et
si nous prenons conscience de l’univers, nous devenons d’une certaine
façon ‘étrangers’ à cet univers. L’univers en tant que tel a besoin
d’exiler une partie de lui-même s’il veut prendre conscience, pour
rester dans cette hypothèse. » (Edgar Morin 1999)
« « Il y a plus de distance entre
l’univers et l’homme en train de le penser qu’entre un grain de sable
et l’océan. Mais le grain de sable, qui est moins que rien, est capable
– miracle inouï – de se penser lui-même et de penser le
tout. » (Jean d’Ormesson 2010)
La
vie,
l'Évolution...
« Le vivant
n’est pas
aussi beau,
aussi propre que le monde des astres ou de l’électronique ; le vivant
est rempli de sang, de terre, d’humeurs ; le vivant est marqué par la
mort. Les biologistes en ont une réelle conscience et une réelle
expérience. »
(Jacques Arnould 2009)
« On
soulève
la
question de savoir qui empêche que la nature, au lieu d’agir en vue
d’une fin et du meilleur, agisse comme le ciel quand il verse la pluie,
c’est-à-dire par nécessité : car en s’élevant les exhalaisons se
refroidissent forcément et ainsi refroidies deviennent de l’eau qui
tombe ; puis il arrive, en conséquence, cet accident que le blé pousse.
Si au contraire la conséquence est que du blé se perd sur une aire,
c’est encore la même chose : ce n’est pas dans ce but que le ciel a
versé la pluie et la perte du blé est un accident. Cela compris, qui
empêche que, de son côté, la nature ne procède de même pour les parties
des vivants ? Les dents, par exemple, naîtraient, les unes, les
incisives, tranchantes et aptes à couper les aliments, les autres, les
molaires, larges et susceptibles de les broyer, sans qu’il y eût là, au
lieu de buts, autre chose que des accidents. La même conception
s’appliquerait à toutes les autres parties dans lesquelles l’opinion
commune croit voir des buts. Les êtres dans lesquels il s’est trouvé
que toutes les parties sont telles que si elles avaient été faites pour
un but, ceux-là ont survécu parce que leur constitution possédait par
hasard les aptitudes requises : ceux pour qui il n’en a pas été ainsi
ont péri et périssent. »
(Aristote)
Jean Rostand
1954
« Comme l'avait
déjà
noté le vieux
Théophraste, il y a beaucoup de choses mal faites dans le règne vivant.
[...] Si, cessant de prôner béatement la nature, on s’enhardit à la
chicaner, on s’avise qu’elle foisonne d’erreurs, de superfluités, de
complications gratuites ou malfaisantes. [...] Sans doute il y a aussi
beaucoup de réussites dans la nature ; mais, philosophiquement, elles
ont moins de sens que ses échecs. La nécessité aveugle pourrait imiter
le dessein, mais le dessein ne saurait imiter la nécessité
aveugle. »
« Ce que nous
apercevons
de la lutte
pour la vie ne nous donne qu’une faible idée du massacre
universel. »
« Certains
esprits [...]
voient dans
l'espèce humaine un chef-d'œuvre prémédité et de longue haleine. En
dépit de son insignifiance pondérable, l'homme représente à leurs yeux
bien autre chose qu'un simple accident ou épisode du devenir ; le
“roseau pensant” n'est pas seulement plus noble que “ce qui le
tue”,
il en est la raison d'être et le but. Comme le poète Mallarmé disait
que l'univers est fait pour aboutir à un beau livre, de même ils
tiennent que l'univers a existé dans sa totalité pour qu'à telle heure
et en tel lieu apparût le fragile être humain... Mais il est d'autres
esprits qui voient les choses tout différemment. Ceux-là, malgré tout
leur bon vouloir, ne parviennent à discerner dans la nature aucun souci
de l'homme ; ils pensent que la vie a poussé comme elle a pu, sans
soins, sans protection, sans mystérieuse connivence avec le reste des
choses ; ils pensent que, ni préparé ni attendu, l'homme pour se
maintenir a dû lutter durement contre un milieu hostile ; ils pensent
que rien n'avait prévu, que rien n'avait voulu le lourd et anfractueux
cerveau de l'Homo sapiens
et
que, si les petits mammifères du tertiaire n'avaient pas eu de goût
pour les œufs des grands Sauriens, le règne animal n'aurait pas connu
le même roi ; ils pensent que la pensée humaine, cette façon d'intruse,
n'a pas plus d'importance dans l'inerte cosmos que le chant des
rainettes ou le bruit du vent dans les arbres... »
« D'où
vient
l'homme? D'une lignée hétéroclite de bêtes aujourd'hui
disparues, et qui comptaient des gelées marines, des vers rampants, des
poissons visqueux, des mammifères velus... Par cette chaîne d'ancêtres,
dont l'humilité augmente à mesure qu'on s'enfonce dans la durée, il se
rattache sans solution de continuité aux microscopiques éléments qui
naquirent, voici plus d'un milliard d'années, aux dépens de la croûte
terrestre.
Accident entre les accidents, il est le résultat
d'une
suite de
hasards, dont le premier et le plus improbable fut la formation
spontanée de ces étranges composés du carbone qui s'associèrent en
protoplasme.
L'homme n'est rien moins que l'œuvre d'une
volonté
lucide, il n'est
même pas l'aboutissement d'un effort sourd et confus. Les
processus
aveugles et désordonnés qui l'ont conçu ne recherchaient rien,
n'aspiraient à rien, ne tendaient vers rien, même le plus vaguement du
monde. Il naquit sans raison et sans but, comme naquirent tous les
êtres, n'importe comment, n'importe quand, n'importe où. La nature est
sans préférences, et l'homme, malgré tout son génie, ne vaut pas plus
pour elle que n'importe laquelle des millions d'autres espèces que
produisit la vie terrestre. Si la tige des primates avait été
sectionnée à sa base par quelque accident géologique, la conscience
réfléchie ne serait jamais apparue sur la terre. Il est possible
d'ailleurs que, dans le cours des siècles, certaines lignées organiques
aient été éliminées qui eussent donné naissance à des formes plus
accomplies que la nôtre.
Quoi qu'il en soit, l'homme est apparu... D'une
certaine
lignée
animale, qui ne semblait en rien promise à un tel destin, sortit un
jour la bête saugrenue qui devait inventer le calcul intégral et rêver
de justice. »
« L'espèce
humaine
passera, comme ont
passé les Dinosaures et les Stégocéphales. Peu à peu, la petite étoile
qui nous sert de soleil abandonnera sa force éclairante et chauffante.
Toute vie alors aura cessé sur la Terre [...]. Alors, de
toute la
civilisation humaine ou surhumaine — découvertes, philosophies, idéaux,
religions —, rien ne subsistera. [...] En ce minuscule coin d'univers
sera annulée pour jamais l'aventure falote du protoplasme. Aventure qui
déjà, peut-être, s'est achevée sur d'autres mondes... Aventure qui, en
d'autres mondes peut-être, se renouvellera... »
Stephen J. Gould
« Nous savons
que la
Terre a existé
des millions d’années durant avant que l’homme n’apparaisse, à la
dernière millimicroseconde de cette histoire. Si l’humanité n’est
apparue que d’hier, petit rameau sur une des branches d’un arbre
florissant, alors la vie ne peut en aucune façon exister pour nous ou
à cause de nous. » (1990)
« L'évolution
de la vie
à la surface
de la planète est conforme au modèle du buisson touffu doté
d'innombrables branches et continuellement élagué par le sinistre
sécateur de l'extinction. [...] Elle ne ressemble pas à cette montée
régulière de l'existence, de la complexité et de la diversité, comme on
le raconte traditionnellement. » (1989)
« L’exubérance
biologique
spectaculaire du Cambrien, cachée au cœur du Schiste de Burgess et de
nombreux autres gisements fossiles de la même époque, eut un sort
peu enviable : la plupart des lignées issues de ces animaux se sont
éteintes. [...] Dans ce contexte, S. J. Gould en vient à repenser la
représentation traditionnelle de l’évolution : ‘La réinterprétation du
Schiste de Burgess renverse littéralement l’image traditionnelle de
l’évolution représentée comme un progrès sur une échelle ou un cône qui
va du plus simple et du plus ancien vers le plus complexe et le plus
récent. [...] Le Schiste de Burgess nous montre que c’est l’élimination
qui joue après le Cambrien et non pas l’expansion.’ Pour lui, les
notions d’accumulation et de progrès ne sont pas pertinentes. Le
principal enseignement qu’il tire du Schiste de Burgess est le rôle
fondamental que joue la contingence dans l’évolution. Contingence qui
fait de l’évolution un processus historique par nature imprévisible.
S. J. Gould se refuse énergiquement à y déceler le moindre sens, la
moindre prédétermination. Il en veut pour meilleur exemple le rôle du
hasard dans la décimation des espèces lors des extinctions de masse.
[...] A ce moment-là, un trait adaptatif secondaire peut permettre à
une espèce de survivre. Ce fut probablement le cas lorsque les
mammifères, jusqu’alors réduits à la portion congrue, ont pris la place
des dinosaures après leur extinction. Ce n’est pas parce qu’ils étaient
mieux adaptés. Autrement dit, nous avons eu beaucoup de
chance. »
(Philippe Chambon 1991)
« [Si nous]
rembobinions
le film de
la vie jusqu’à l’apparition des animaux multicellulaires modernes lors
de l’explosion du Cambrien, puis si nous repassions le film à partir de
ce même point de départ, l’évolution repeuplerait la Terre de créatures
radicalement différentes. La probabilité pour que ce scénario fasse
apparaître une créature ressemblant même de loin à un être humain est
effectivement nulle et celle de voir émerger un être doté d’une
conscience, extrêmement faible. » (1997)
Teilhard de Chardin
« ... la Vie,
non point
anomalie
bizarre, sporadiquement florissant sur la matière — mais la Vie
exagération privilégiée d’une propriété cosmique universelle —, la Vie,
non pas un épiphénomène, mais l’essence même du Phénomène. »
(1956)
« Nous
comprenons mieux que la
vie ne
puisse plus être regardée dans l’Univers comme un accident superficiel,
mais que nous devions l’y considérer comme en pression partout – prête
à sourdre partout dans le cosmos par la moindre fissure –, et, une fois
apparue, incapable de ne pas utiliser toute chance et tout moyen pour
arriver à l’extrême de tout ce qu’elle peut atteindre, extérieurement
de complexité, et intérieurement de conscience. » (1956)
« L’Homme : non
pas un
type
zoologique comme les autres.
Mais l’Homme,
noyau d’un mouvement de reploiement et de convergence où se trahit
localement sur notre petite planète (si perdue soit-elle dans le temps
et l’espace), ce qui est probablement la dérive la plus caractéristique
et la plus révélatrice des immensités qui nous enveloppent. »
(1956)
« L’ “impetus”
du Monde,
trahi par la
grande poussée de conscience, ne peut avoir sa source dernière, il ne
trouve d’explication à sa marche, irréversiblement tendue vers de plus
hauts psychismes, que dans l’existence de quelque principe intérieur au
mouvement. » (1955)
«
L’apparente
restriction du phénomène de conscience aux formes supérieures de la vie
a servi longtemps de prétexte à la science pour l’éliminer de ses
constructions de l’Univers. Exception bizarre, fonction aberrante,
épiphénomène : sous quelqu’un de ces mots on rangeait la pensée pour
s’en débarrasser. Mais que fût-il advenu de la physique moderne si on
avait classé, sans plus, le radium parmi les corps
‘anormaux’ ?
[...] Qui ne voit, ici et là, un problème identique se poser aux
chercheurs, et qui doit être résolu par la même méthode : découvrir l’universel sous
l’exceptionnel.
[...]
“La conscience n’apparaît avec complète évidence que dans
l’Homme”, étions-nous tentés de dire, “donc elle est un cas isolé,
inintéressant pour la Science”. “La conscience apparaît avec
évidence dans l’Homme”, faut-il reprendre en nous corrigeant, “donc,
entrevue dans ce seul éclair, elle a une extension
cosmique”... »
(1955)
Divers
« Chaque fois
qu’on peut
pratiquer [une] analyse des lignées, on constate que les caractères se
modifient dans un sens donné, qu’il y a canalisation des formes. Tout
se passe comme dans le cas d’une rivière établissant peu à peu son
cours selon la pente du terrain. Et de même que, dans l’exemple de la
rivière, une même action de gravité agit toujours et partout sur l’eau
qui s’écoule, ainsi convient-il d’admettre l’existence d’un facteur de
fond agissant sur le déroulement de l’orthogenèse. Quel peut être ce
facteur ?
Quand on considère la multiplicité des phylums en lesquels
se
résout la biosphère, on pourrait croire que la vie a tout essayé. En
fait, elle a, essentiellement, essayé dans le même sens, dans le sens
d’un arrangement de plus en plus complexe et d’un psychisme plus élevé.
La tendance vers plus de conscience, tel est le moteur de
l’orthogenèse. » (Jean Piveteau 1987)
« [Certains
scientifiques
affirment] que l’évolution, si on la répète, donnera un résultat plus
ou moins identique à celui que l’on observe sur terre et surtout que
des êtres pourvus d’une conscience évoluée, tels que nous, apparaîtront
presque toujours, même s’ils ne sont pas entièrement semblables à nous.
Comment peuvent-ils affirmer cela ? A cause de l’existence de
contraintes s’exerçant sur le hasard qui obligent l’évolution à arriver
au même but par des voies pouvant être totalement différentes. [...]
[D’autres] partagent l’idée que le hasard et la sélection naturelle ne
dirigent pas seuls l’évolution. […] L’ordre peut émerger du chaos grâce
à un certain nombre de lois sous-jacentes. Sans aucune finalité, sans
que l’évolution soit prévisible, l’ordre est spontanément engendré par
les lois de la nature. [...] [On trouve en même temps] des
scientifiques
pensant qu’il existe une logique interne de la vie sans que cela
implique un but de l’évolution, et d’autres pour lesquels un tel but
existe parce que l’évolution est programmée. »
(Jean Staune 2007)
« Il
est très
probable que la vie est largement répandue dans l’univers. [...] Pour
certains théoriciens, [...] les conditions dans lesquelles la vie peut
prendre naissance dépendent d’une série d’accidents très improbables :
la vie extra-terrestre devrait donc revêtir les formes les plus
inattendues, fondées par exemple sur une autre chimie que celle du
carbone. Ce serait faire preuve d’un anthropocentrisme naïf que de
croire que ces êtres, s’ils existent, puissent nous ressembler.
D’autres théoriciens défendent un point de vue presque totalement
opposé. [...] Dans cette optique, la vie n’est pas le fait du hasard ;
elle résulte d’un enchaînement d’événements probables, nécessaires,
déterminant rigoureusement la succession des phénomènes ultérieurs.
[...] Poussant le raisonnement logique le plus loin possible, ceux qui
partagent cette opinion estiment qu’il y a une assez forte probabilité
pour que les formes de vie extra-terrestre soient relativement proches
de celles que nous connaissons sur la Terre. »
(Joël de Rosnay 1966)
La
sexualité
« Sexuality is
the main
drive in a
human being, it takes an important role in everybody's life, and in the
end, everybody has problems in dealing with that. » (Ulrich
Seidl
2012)
« Aux luxurieux
il [le
diable] dit
que la chair revendique ce qui lui revient [de droit] ; son appétit
naturel lui étant venu de Dieu, il est impensable que [l’assouvissement
de ses désirs] soit un péché mortel. » (Thomas van der Noot 1517)
« Ce n’est pas
en vue de
la
procréation qu’ils pratiquent l’acte honteux, mais par pure volupté, le
Diable se jouant d’eux et déshonorant la créature de Dieu. »
(Saint Épiphane de Salamine, IVe siècle)
« Il y a des eunuques
qui se sont
eux-mêmes rendus tels à cause du Royaume des cieux. »
(Évangile selon Matthieu)
« Il arriva
qu’un soir,
ma sœur Mary
se trouva tout à coup près de mon lit. Je ne l’avais pas entendue
venir, mais du reste, pourquoi me serais-je caché, ne me sentant pas
coupable ? D’un geste énergique, elle rabattit la couverture jusqu’à
mes pieds et avec un grand cri appela ma mère qui accourut, le bougeoir
au poing. Dans la lumière, j’apparus tel que j’étais, ne comprenant
rien, souriant peut-être, les mains dans la région défendue... “I’ll cut
it off !”
s’écria ma
mère en brandissant le couteau à pain... » (Julien Green 1963)
« Nous venons d’un monde
où le haut
chemin s’est voulu continence par la répression de la chair, par la
persécution volontaire de la puissante envie charnelle. Je n’ai pas de
goût pour ce chemin-là. C’est le fait de ma faiblesse, sans doute ;
mais c’est aussi qu’il me paraît suspect. Je me demande quel sombre
désir est à l’œuvre dans cette frénésie du non-désir. »
(Maurice Bellet 1988)
« Le
plaisir
érotique peut être considéré comme un facteur organisateur majeur du
psychisme et des comportements. Des données éthologiques et, surtout,
ethnologiques montrent l’importance majeure des processus érotiques et
de renforcement dans la sexualité humaine.
On observe
déjà une prépondérance du plaisir somato-sensoriel sur les autres
stimuli-signaux de la reproduction chez les chimpanzés pan paniscus.
Les bonobos pratiquent quotidiennement de nombreuses activités
érotiques, orales et génitales, auto- et homoérotiques, qui semblent
avoir pour motivation principale le plaisir, et qui pour la plupart
n’ont aucun rapport avec la reproduction. […].
Dans
plusieurs sociétés (Marquisiens, Trobriandais, Copper Inuit, Pilaga…),
situées dans différentes régions du monde, il existe peu ou pas de
restrictions à la sexualité des enfants. […] Ce phénomène d’érotisation
débute par des stimulations corporelles […] et semble totalement
indépendant du phénomène de la reproduction.
Ces
données permettent de comprendre et d’expliquer la grande diversité des
activités érotiques humaines à partir d’un seul modèle.
Les grands types d’activités érotiques connus (masturbation, activités
homoérotiques ou hétéroérotiques, en couple ou en groupe, activités
érotiques avec des objets), ayant actuellement chacun une explication
causale différente (reproduction, instinct, plaisir, pathologie,
perversion…), peuvent être regroupés dans un seul modèle
neurobiologique explicatif, global et cohérent. […] En effet, si le
plaisir physique intense, principalement provoqué par des stimulations
mécaniques, est bien le facteur neurologique majeur à l’origine des
activités érotiques, il est biologiquement ‘logique’ et ‘normal’ que
l’être humain cherche à reproduire toutes les situations de jouissance
érotique et orgastique qu’il découvre, quel qu’en soit le moyen. […] La
plupart de ces pratiques n’ont aucun rapport avec la
reproduction. »
(S. Wunsch et Ph. Brenot 2005)
« Je pense
qu’il faut
tout dire, ne
serait-ce que pour s’habituer à des choses qu’on fait tous, et qu’on ne
peut pas criminaliser. [Il ne faut pas] créer un domaine de terreur de
ce qui est notre corps, notre vie, et se dire que c’est quelque chose
qui est de l’ordre de la concupiscence, tous ces mots terribles [...].
Si on a honte de ce
qu’on est, on perd son identité, on perd sa conscience. » (Catherine
Breillat ~ 2000)
« Qu’a faict
l’action
genitale aux hommes, si naturelle, ni necessaire et si juste, pour n’en
oser parler sans vergongne et pour l’exclurre des propos serieux et
reglez ? Nous prononçons hardiment : tuer, desrober, trahir ; et cela,
nous n’oserions qu’entre les dents ? Est-ce à dire que moins nous
exhalons en parole, d’autant nous avons loy d’en grossir la pensée
? »
(Montaigne)
« Pourquoi
sommes-nous
devenus
tellement plus tolérants dans certains domaines (l’homosexualité, la
masturbation, l’échangisme…), et tellement plus sévères dans d’autres
(le viol, le proxénétisme, la pédophilie) ? La réponse, à mon avis, est
la suivante : c’est que l’homosexualité, la masturbation et
l’échangisme, entre partenaires adultes et consentants, cela ne fait de
mal à personne – cela fait même du bien, semble-t-il, à plusieurs.
Pourquoi dès lors le leur reprocher ? Alors que le viol, le
proxénétisme, la pédophilie, cela fait du mal à quelqu’un : cela porte
atteinte à son intégrité, à sa dignité, à sa liberté […]. Nous sommes
passés d’une morale transcendante ou religieuse pour laquelle le bien
c’était ce qui était ordonné (les commandements), le mal ce qui était
interdit, à une morale immanente ou humaniste, pour laquelle le mal
c’est ce qui fait du mal à quelqu’un, le bien, ce qui fait du bien à
quelqu’un. » (André Comte-Sponville 2003)
« The
view of sex
as essentially a means to procreation condemns masturbation as a
deviation from the natural purpose of the sexual organs and all sexual
activity, as unnatural and immoral “self-abuse” for the sake of sheer
bodily pleasure. The weight of the condemnation implied in the
characterization of an activity as unnatural is such that Thomas
Aquinas can say that masturbation is worse than adultery, incest, or
rape. [...]
The view of sex as bound up with love condemns
masturbation as a deviation from the proper focus of sexual desire on
the beloved person. This is a very unattractive thing to have to say,
however, for two reasons. Masturbation is much too elementary, general
and frequent a type of sexual behavior to be classified as mere
deviation. And the view that masturbation is most of the time merely a
substitute for “the real thing” is misguided too. [...]
The source
of this problem with masturbation is the assumption about interpersonal
nature of sex [...]. It seems that we must discard this assumption and
adopt an even narrower, plainer view of sex. Sexual activity can then
be defined as activity that tends to fulfill sexual desire, while
sexual desire is sufficiently defined as the desire for certain bodily
pleasures, period. This includes both sex with another person and
solitary sex; the latter is not relegated beyond the pale, as some sort
of imaginative substitute for, or deviation from, the former. » (Igor
Primoratz 2003)
« Le sexe et
l’amour
sont deux choses
différentes, qu’on peut bien sûr vivre ensemble, heureusement, mais qui
n’en sont pas moins disjointes. On peut avoir des rapports sexuels avec
quelqu’un dont on n’est pas amoureux. Ou aimer quelqu’un sans qu’il y
ait de rapports sexuels. Mais c’est précisément parce que l’amour et la
sexualité sont deux choses différentes que la rencontre entre les deux
est sans doute ce qu’on peut vivre de meilleur ! » (André
Comte-Sponville 2012)
« Il faut bien
que le
corps exulte. » (Jacques Brel 1967)
La
mort
« Le soleil ni la mort
ne se peuvent
regarder fixement. » (La Rochefoucauld)
« De deux choses l’une : ou bien
celui qui est mort est réduit au néant et n’a plus aucune conscience de
rien, ou bien, conformément à ce qui se dit, la mort est un changement,
une transmigration de l’âme du lieu où nous sommes dans un autre lieu.
Si la mort est l’extinction de tout sentiment et ressemble à un de ces
sommeils où l’on ne voit rien, même en songe, c’est un merveilleux gain
que de mourir […] puisque alors toute la suite des temps ne paraît plus
ainsi qu’une seule nuit.
D’un autre côté, si la mort est comme un passage d’ici-bas
dans un autre lieu, et s’il est vrai, comme on le dit, que tous les
morts y sont réunis, peut-on […] imaginer un plus grand bien ? » (Socrate)
« ... Pour moi,
voilà longtemps
que j'ai fait l'épreuve de la mort. – Quand cela, demandes-tu
?
– Avant même de naître. La mort consiste à n'être pas ; ce
que
c'est que de n'être pas, je le sais déjà : il en ira après moi
comme il en était avant moi. S'il y a dans cet état quelque tourment,
de toute nécessité il en devait être ainsi avant notre venue au monde.
Or nous n'avons éprouvé alors aucune souffrance.
Voyons : ne tiendrais-tu pas pour un triple sot celui qui
estimerait l'état d'une lampe pire lorsqu'elle est éteinte qu'avant
d'être allumée ? Eh bien nous aussi, on nous allume, on nous
éteint : dans l'intervalle, nous sommes sujets à souffrir,
mais
au-delà dans les deux sens règne une quiétude absolue. Notre erreur, si
je ne me trompe, mon cher Lucilius, c'est de croire que la mort vient
après, alors qu'elle précédait et qu'elle suivra. Tout ce qui était
avant nous, c'est la mort : qu'importe en effet de ne pas
commencer ou de finir ? Dans les deux cas le résultat est le
même : le non-être. » (Sénèque, Lettre LIV)
« [Sénèque]
parle en vingt
endroits du sort de l'âme après la mort, mais sans conclure :
il
ne sait pas et il l'avoue ; il ne cache pas non plus qu'il désire y
croire : “Je viens de passer des heures enchantées, je me
prêtais
complaisamment à l'opinion que l'âme est immortelle, je me livrais à ce
rêve si joli.” » (Paul Veyne 2007)
« Quand sera venu le jour de séparer
ce composé de divin et d’humain, je laisserai le corps ici, où je l’ai
trouvé, et moi-même je me restituerai aux dieux. [...] Comme le sein
maternel nous garde neuf mois et nous prépare [...], ainsi le temps qui
s’étale de l’enfance à la vieillesse nous mûrit pour un autre
enfantement naturel. Une autre naissance nous attend, un autre ordre de
choses. [...] Regarde donc dès maintenant sans trembler
cette heure décisive, qui n’est suprême que pour le corps, non pour
l’âme. [...] Ce jour que tu redoutes comme le dernier est ta naissance
à l’éternité. » (Sénèque, Lettre CII)
« “Dieu seul dure”,
telle a
toujours
été la base fondamentale de la théologie sémitique, monothéiste.
L’homme est un être passager, et le pire acte d’orgueil de sa part
serait de s’égaler à Dieu, en s’attribuant l’éternité. Le Pharaon qui
se bâtit des pyramides en vue d’une existence indéfinie, loin d’être
considéré par le sage israélite comme un homme religieux, lui faisait
l’effet d’un impie. La croyance à l’immortalité, loin de lui sembler
pieuse, lui paraissait une injure à Dieu et au bon sens. [...] “Dans le
scheol, on
ne sent rien, on ne
sait rien, on ne voit rien. […] Une fois que le souffle de la vie est
remonté à Dieu qui l’avait donné, le corps se décompose et revient à la
terre” [Cantique
d’Ézéchias].
» (Ernest Renan 1881)
« Que les
cellules du
cerveau se
trouvent pendant quelques minutes privées d’oxygène, et la conscience,
immanquablement, s’évanouit. Que la privation d’oxygène persiste un
petit quart d’heure, et par suite des changements irréversibles
qu’entraîne l’asphyxie cellulaire, la conscience aura disparu de façon
définitive. Plus jamais, dans le monde, ne se manifestera cette
conscience-là, ce moi, unique comme tous les moi, et qui dépendait de
l’intégrité de ces cellules particulières.
Un éclair dans la
nuit, ainsi a-t-on défini la pensée. Il ne s’agit, en effet, que d’une
lueur, vacillante, et toujours menacée de s’éteindre. »
(Jean Rostand 1954)
« La
mort – alors
tout s’effacera pour moi ? Plus de monde ? Plus
rien ?
Inimaginable.
Et tous ceux que j’aime et qui m’aiment,
ils
s’éloigneront sans retour ?
Inimaginable,
et pourtant : l’expérience d’une anesthésie, par exemple. Je suis dans
le “bloc” (opératoire), seul, sur le chariot. La “table” à côté de moi.
Je revois la pièce. Et puis – plus rien. Aucun souvenir d’une piqûre ou
de quoi que ce soit.
J’aurais pu ne pas me
réveiller. Ça s’est vu. Ça se voit pour des opérations plus risquées.
La mort – ça ? Mais alors, il ne se serait rien
passé ?
J’arrive là inquiet mais confiant et – out, fini.
Oh !
La mort est impensable. […]
La
mort : je ne sais pas ce que c’est. Je ne sais pas ce que j’en pense,
puisque je ne sais pas ce que c’est. » (Maurice Bellet 1988)
« L’étude du
phénomène
de
l’avant-mort amène, tout naturellement, à l’étude des états qui lui
ressemblent et dans lesquels l’être humain n’a que partiellement ou n’a
plus du tout conscience de ce qui se passe en lui ou autour de lui.
Tels sont l’anesthésie, la narcose, la syncope, la léthargie, la
catalepsie, le sommeil.
Le mécanisme de la perte du sentiment est, en
effet, à peu
près invariablement le même, quelle qu’en soit la cause. Et connaître
la façon dont on s’anesthésie, s’évanouit ou s’endort, c’est connaître
la façon dont on meurt. » (Georges Barbarin 1937)
« On
peut
dresser
un schéma type de l’EMI [expérience de mort imminente ; angl. NDE :
near death experience]. Tout commence par une subite “reprise de
conscience” accompagnée de l’impression de percevoir depuis l’extérieur
son corps et l’environnement. [...] Les individus qui ont vécu une EMI
parlent aussi de tunnels obscurs au bout desquels ils ont aperçu une
intense lumière, celle-ci se confondant avec la sensation d’un amour
bien plus fort que tout ce qu’ils avaient pu ressentir au cours de
leur vie. Une vie qui est d’ailleurs revisitée, soit dans son entier,
soit dans ses moments clés, mais souvent en adoptant des points de vue
nouveaux. Pour beaucoup, cette partie de l’expérience se fait en
compagnie d’un guide bienveillant ou d’un être de lumière [...].
Relevant les similitudes entre ces manifestations
et
certaines représentations religieuses du passage de vie à trépas,
certains ont interprété les EMI comme la preuve de l’existence d’une
vie
après la mort. Bien évidemment, la science est incompétente sur cette
question. » (Mathieu Grousson 2009)
« Il n’y a
aucun doute
que les
témoignages d’EMI renvoient à une
réalité sous-jacente. Laquelle ? On sait encore trop peu de
chose
sur
le fonctionnement du cerveau lors des EMI pour répondre. Pour autant,
jusqu’à preuve du contraire, il n’y a pas d’exemple d’état de
conscience sans activité cérébrale. » (Steven Laureys 2009)
« Il est
possible que
les témoignages
d’EMI indiquent que des états de conscience peuvent perdurer alors que
le cerveau ne fonctionne plus. Qui sait si cela n’implique pas de
repenser la question du corps et de l’esprit dans un cadre totalement
différent...? »
(Sam Parnia 2009)
« Voici un
cerveau qui
travaille.
Voilà une conscience qui sent, qui pense et qui veut. Si le travail du
cerveau correspondait à la totalité de la conscience, s’il y avait
équivalence entre le cérébral et le mental, la conscience pourrait
suivre les destinées du cerveau et la mort être la fin de tout. […]
Mais si, comme nous avons essayé de le montrer, la vie mentale déborde
la vie cérébrale, si le cerveau se borne à traduire en mouvement une
petite partie de ce qui se passe dans la conscience, alors la
survivance devient si vraisemblable que l’obligation de la preuve
incombera à celui qui nie, bien plutôt qu’à celui qui affirme. »
(Bergson 1912)
« Encore que
[le corps]
ne fût point,
[l’âme] ne lairrait pas d’être tout ce qu’elle est. [...] [Notre âme]
est d’une nature entièrement indépendante du corps, et par conséquent
[...] n’est point sujette à mourir avec lui. » (Descartes)
« L’homme est
dans le
monde, sans
être du monde, sans se confondre avec les objets qui le peuplent et qui
ne pensent pas. De par son statut, l’homme est un être extra-mondain ;
sa dimension métaphysique l’élève au-dessus des choses et il serait
contradictoire qu’il perdît à jamais cette transcendance, qu’il fût
englouti dans le monde matériel, du seul fait de la dissolution du
corps. » (Léon Meynard 1958b)
« Mort
inévitable. Expérience de quatre-vingts siècles : l'appareil
fonctionne
moins de cent cinquante ans. Et pourtant, chose étrange, je ne peux pas
penser
ma mort : je ne peux pas penser ma disparition absolue puisque
le
“je” qui
pense cette disparition n'a pas disparu puisqu'il pense.
Conséquence :
ceux qui disent “il n'y a rien après la mort” ne savent pas ce qu'ils
disent. Donc
il y a quelque chose après la mort ? Conclusion
hâtive : je
n'en sais
strictement rien... » (M. Quérin 1962)
« Puisque de ma mort, je ne peux rien
prévoir, il serait rationnel d’admettre aussi qu’elle puisse ouvrir une
autre possibilité, aujourd’hui à moi inconcevable. Car, si personne
n’en sait rien, il ne se trouve pas plus de raison de la considérer
comme une entrée au néant que comme l’ouverture d’une autre
possibilité. Après tout, j’ai vécu neuf mois sans même savoir que
j’étais, ni soupçonner ce qui m’attendait après ma naissance. Rabelais,
mourant, aurait dit qu’il allait vers “le grand peut-être”. » (Jean-Luc Marion 2014)
« La joie veut
l’éternité de toute
chose, elle veut une profonde, profonde éternité ! »
(Nietzsche)
« Père, entre
tes mains je
remets
mon esprit. » (Évangile
selon Luc)
Dieu
?
« Vous trouvez
curieux que je
considère la compréhensibilité du monde comme un miracle ou un éternel
mystère. Eh bien, a
priori
on devrait s’attendre à un monde chaotique, qui ne peut en aucune façon
être saisi par la pensée. [Le succès de la science] suppose un ordre de
haut degré du monde objectif, qu’on n’était a priori nullement
autorisé à attendre. C’est cela le “miracle” qui se fortifie de plus en
plus avec le développement de nos connaissances.
C’est ici que se trouve le point faible des
positivistes
et des athées professionnels [...]. Le curieux, c’est que nous devons
nous contenter de reconnaître le “miracle”, sans qu’il y ait une voie
légitime pour aller au-delà. » (Einstein 1952)
« Le ciel
parle-t-il ?
Ou faut-il se
référer à Camus et sa phrase sur “le silence déraisonnable du
ciel” ? L'univers
est très vraisemblablement infini. Aucun centre. J'ignore,
contrairement à
Voltaire, s'il y a un grand horloger puisqu'il y a une horloge.
Peut-être
doit-on s'en tenir à la vision taoïste : un principe
organisateur
qui ne
s'intéresse pas à l'homme. Car si Dieu s'y était intéressé, on n'aurait
pas
connu la Shoah et les Khmers rouges. » (Hubert Reeves 2012)
« Il y
a trop de mal dans le monde, trop de souffrance et de malheur, et pas
seulement
pour l'humanité : les bêtes souffrent aussi, et depuis plus
longtemps que
nous, pour que la croyance en un Dieu bon et créateur soit moralement
supportable. » (André Comte-Sponville 1989)
« Le mal physique, c'est la maladie, la souffrance,
l'accident, la
vieillesse avec son cortège de tares et d'infirmités, c'est la mort,
la perte cruelle de ceux que nous aimons ; [...] il y a une foule
d'êtres humains pour qui l'existence
n'est qu'une longue suite de douleurs et d'afflictions, en
sorte qu'il vaudrait mieux qu'ils ne fussent pas nés ; c'est, dans la
domaine de la nature, les fléaux, les cataclysmes [...]. Qui oserait
dire de ce mal physique que l’homme doit en être
rendu responsable ? [...]
De deux choses l'une : ou bien
Dieu voudrait supprimer le mal, mais il
ne le peut pas ; ou bien Dieu pourrait supprimer le mal, mais il ne le
veut pas. Ici, Dieu est puissant, mais il n'est pas bon ; là, Dieu est
bon, mais il n'est pas puissant. » (Sébastien Faure 1914)
« Si Dieu
existe, d'où vient le
mal ?
S'il n'existe pas, d'où vient le bien ? » (Leibniz)
« Dieu est invraisemblable, c’est une
affaire entendue. L’absence de Dieu est plus invraisemblable
encore. » (Jean d’Ormesson, 2010)
« Que sais-je
de Dieu et du but
de la vie ? Je sais
que le monde existe. [...] Qu’il y a quelque chose en lui de
problématique, ce que
nous appelons son sens. Que ce sens ne réside pas en lui, mais en
dehors de
lui. Que la vie est le monde. [...] Le sens de la vie, c’est-à-dire le
sens
du
monde, nous pouvons l’appeler Dieu. Et y relier la comparaison de Dieu
à un père.
Prier, c’est penser au sens de la vie. » (Ludwig Wittgenstein
1916)
« Maintenant
que nous remontons de l’inférieur
jusqu’au Transcendant, notre discours se réduit à proportion de notre
montée.
Arrivés au terme nous serons totalement muets et entièrement unis à
l’Indicible. » (Pseudo-Denys l'Aréopagite)
« Penser à Dieu
et parler de lui
comme s’il était “quelque chose”, un “il” au sens neutre, serait
certainement faux ; [...] il serait en tout cas impertinent de le faire
uniquement à la troisième personne du singulier, puisqu’il est dans
l’essence même de Dieu de s’adresser à l’homme à la première personne
et en lui disant “tu”. On ne peut jamais penser à Dieu et parler de lui
en vérité qu’en lui répondant... » (Karl Barth 1962)
« Je ne veux
pas me parler à
moi-même et croire que
c'est Dieu qui me parle. Il y a d'abord le silence de Dieu. »
(Julien Green, Journal)
« Dieu est le silence de l’univers et l’homme le cri
qui donne sens à ce silence. » (José Saramago 2010)
« Vraiment, tu es un Dieu caché. » (Isaïe)
« Dieu écrit droit avec des lignes courbes. »
(Proverbe
portugais)
« Nous avons
l'être,
nous ne sommes pas notre être. L'existence nous est
seulement
donnée ou, pour mieux dire, prêtée. Par quoi ? Par qui ? L'absence de
réponse claire
n'invalide pas la réalité de cette situation. » (D'après Etienne Klein
2010)
« Tout est
possible, même
Dieu. » (Renan 1889)
Échos
de
l'Antiquité
ÉGYPTE : De la main
d'Atoum...
« Le Créateur solitaire,
surgi de
l'informel par la puissance de sa volonté, n'avait point de compagne ;
il mit au monde dieux et hommes de par l'effort de son propre corps,
par une jouissance personnelle, qui n’eut point de témoins.
Ainsi s'exprime Atoum, dans le texte d'un rituel datant du
IVe
siècle avant J.-C., mais dont la pensée et l'expression relatent de
très anciennes croyances : “Je m’étais uni à mon propre corps,
de sorte
qu’ils sortirent de moi après que j’eus produit l’excitation avec mon
poing fermé, mon désir provenant de ma main et la semence tombant de ma
bouche ; c'est ainsi que je crachai Shou et que j'expectorai Tefnout.
Ainsi donc j’étais venu à l’existence, dieu solitaire et maintenant
trois dieux m’appartenaient après que les deux divinités jumelles
furent venues à l’existence sur cette terre.”
Deux millénaires auparavant, on rencontre la même idée dans
les
textes sculptés dans les pyramides royales — ce qui prouve la pérennité
de la croyance : “Atoum, une fois parvenu à l'existence, se livra à la
masturbation en Heliopolis. Il plaça son phallus dans son poing et,
ainsi, se créa du plaisir. Alors naquirent deux jumeaux, Shou en même
temps que Tefnout.”
» (Claire Lalouette 1998)
... au tour de potier de
Khnoum...
« [Khnoum] façonna sur
son tour les
dieux et les hommes. […] Il organisa la marche du sang dans les os,
modelant dans son atelier par l'action de ses bras. Alors le souffle de
la vie imprégna toute chose. […] Il modela la peau sur les membres. Il
fabriqua la tête et façonna le visage afin de donner leur personnalité
aux figures. Il fit se déclore les yeux, il ouvrit les oreilles. […] Il
détacha la langue pour qu'elle puisse s'exprimer. […] Il fit les mains
avec leurs doigts pour faire leur ouvrage, le cœur pour conduire
l'être, les testicules pour soutenir le phallus et accomplir l'acte
sexuel […] et la matrice pour recevoir la semence et multiplier ainsi
les générations en Egypte. […] Ainsi tous les êtres furent façonnés sur
son tour.
» (Claire Lalouette 1987)
... et au cœur de Ptah
« Ptah est le dieu
créateur par
excellence. C'est dans son cœur, dans son esprit, par la pensée, que le
dieu-artisan Ptah conçoit le monde, lui donnant ensuite réalité par la
parole. Ptah, c'est “celui qui a formé tous les dieux, hommes,
animaux, qui a créé tous les pays” après s'être auto-engendré par
la
puissance de son esprit. Cœur et langage sont ainsi, dans cette
cosmogonie, au tout début de toute chose.
» (N. Guilhou et J. Peyré 2005)
GRÈCE : L'indifférence
de Zeus
« Nous avons la
sécheresse en ce
moment. Pas un nuage à l'horizon, alors qu'il nous faut de la pluie et
encore de la pluie. Même les labours ont soif : on le voit à l'aridité
des mottes. C'est en vain, apparemment, que nous avons sacrifié à Zeus
Huetios ; il ne nous a pas écoutés et pourtant je t'assure que les
habitants du village ont rivalisé pour lui faire de beaux sacrifices.
Chacun a participé en fonction de ses moyens et de ce qui lui restait.
L'un a offert un bélier, l'autre un bouc, l'autre les produits de ses
champs, les pauvres une galette de sacrifice, et les plus pauvres
encore des grains d'encens moisis, mais personne n'a offert de taureau
: nous n'avons pas abondance de bétail, nous qui vivons sur le sol
maigre de l'Attique. Ces dépenses n'ont servi à rien. Apparemment, Zeus
est occupé chez d'autres peuples ; il ne s'intéresse pas aux gens
d'ici.
» (Alciphron)
MÉSOPOTAMIE : Les
leçons
d'Utanapishtî
« C’est le lot de l’humanité que
d’être brisée comme un roseau. […] La mort, personne ne l’a vue, nul
n’a aperçu son visage, ni entendu sa voix. La mort cruelle qui brise
les hommes… Bâtissons-nous des maisons pour toujours ? Scellons-nous
des engagements pour toujours ? Partageons-nous un patrimoine pour
toujours ? […] Nous sommes tous comme des éphémères emportés par le
courant : de nos visages qui voyaient le soleil, brusquement il ne
reste plus rien. Endormi, mort, c’est même chose ! Personne n’a jamais
pu représenter la mort. Pourtant, depuis ses origines, l’homme en est
prisonnier. Depuis que les grands dieux, et Mammitu, la grande déesse
mère, la faiseuse de destins, ont arrêté ensemble les destinées des
hommes, ils nous ont imposé la mort comme la vie, nous laisant
seulement ignorer le moment de notre mort. » (L'Épopée
de Gilgamesh)
... et les conseils de
Siduri
« O Gilgamesh pourquoi
erres-tu de
tous côtés ?
la vie que tu poursuis tu ne l’atteindras pas ;
lorsque les dieux ont créé le genre humain,
ils lui ont fixé le destin de mourir,
et ils ont gardé l’immortalité entre leurs mains.
Pour toi, ô Gilgamesh, remplis ton ventre ;
jour et nuit, fais bombance ;
que chaque nuit soit une fête pour toi ;
jour et nuit satisfais-toi ;
porte des vêtements brodés,
lave ta tête et baigne-toi ;
prends plaisir à regarder ton petit qui se suspend à toi,
réjouis-toi que ton épouse se serre contre toi... » (ibid.)
IRAN : Le triomphe d'Ahura Mazda
« Aller au feu éternel,
ce n'est pas,
comme le dit le christianisme, aller au châtiment éternel, c'est aller
à la rénovation. L'enfer et le paradis sont la récompense ou la
punition des justes et des pécheurs, mais n'ont qu'une existence
momentanée, ne durent que tant que l'humanité est aux prises avec
l'Assaut, vit dans le temps linéaire qui s'achèvera un jour. Si le
juste est sauvé dès son trépas et pour l'éternité, si celui dont les
actes vertueux et les péchés s'équilibrent attend dans le hamestagan,
une sorte de purgatoire, l'injuste, créature d'Ahura Mazda, ne saurait
être damné pour toujours. La damnation n'est qu'un état provisoire.
Quand il aura subi son châtiment, le méchant reviendra à Dieu. Le monde
s'achèvera dans un embrasement qu'on appelle souvent l'“épreuve du
métal fondu”, qui sera pour les uns “comme du lait chaud”, pour les
autres trois jours horribles de souffrance – d'une souffrance qui est
donc rédemptrice. Alors l'enfer sera détruit, Ahriman définitivement
vaincu sera anéanti, les morts reviendront à la vie, seront réunis avec
tous les hommes dans le paradis, avec Ahura Mazda, les Ameshu Spenta et
les dieux.
» (Jean-Paul Roux 2006)
Hindouisme
« How again can
Hinduism be
called a
religion when it admits all beliefs, allowing even a kind of
high-reaching atheism and agnosticism and permits all possible
spiritual experiences, all kinds of religious adventures ?
[...]
To the Indian mind the least important part of religion is its dogma ;
the religious spirit matters, not the theological credo. »
(Sri
Aurobindo 1919)
« [Religions of
the
west] generally
reject as false all other religious beliefs and practices ; Hinduism,
on the other hand, concedes some validity to them all. The western
attitude is expressed by the words of Yahweh on Sinai, “You shall have
no other gods before me” (Ex. xx, 3) ; in the Bhagavad Gita, the
incarnate god Krishna says, “Whatever god a man worships, it is I who
answer the prayer.” » (Encyclopædia
Britannica 1966)
« Cosmology.
– Indian religion
contrasts sharply
with the religions of the west in its conception of the size and
duration of
the universe. In place of the comparatively small, transient cosmos of
traditional Judaism, Christianity and Islam, Hinduism postulates a
universe
immense in size and immensely long in duration, passing through a
continuous process
of development and decline. The fundamental cosmic cycle is the “day of
Brahma,” a period of 4,320,000,000 years known as a kalpa.
At the beginning of this day Vishnu lies asleep upon the cobra Shesha,
symbolizing
endless time, who in turn floats on the cosmic ocean, the primeval
chaos.
From Vishnu’s navel there grows a lotus, and from its bud is born the
god
Brahma who creates the universe on behalf of Vishnu, who then awakes
and controls
the cosmos throughout the day. At its end the world is destroyed,
according to
some accounts by Shiva, and is once more absorbed into Vishnu’s body.
The god
sleeps for a further kalpa, the
“night of Brahma,”
after which
the process is repeated more or less indefinitely.
According to some sources, Vishnu has a life of
100 “years
of Brahma,” each of
which consists of 360 days of Brahma. He is now 50 years old, and when
he reaches
his 100th year his personality will be lost in the one real and eternal
impersonal
entity, the Brahman. After a tremendously long period when nothing but
the one
Absolute World Spirit exists, a new Vishnu will appear and the process
will begin
once more. This scheme is to be found with modifications in various
early texts,
such as the Puranas, long collections of legendary and mythological
stories which
date from the 4th century A.D. » (Encyclopædia
Britannica 1966)
« In the
beginning this was Self
alone, in the shape of a person (purusha).
He looking round saw nothing but his Self. He first said, “This is I” ;
therefore he became I by name. [...] But he felt no delight. [...] He
wished for a second. He was so large as man and wife together. He then
made this his Self to fall in two (pat),
and thence arose husband (pati)
and wife (patni).
[...] He
embraced her, and men were born. » (Brihadaranyaka
Upanishad, une des
plus anciennes Upanishads)
« [The
Supreme
Being] became conscious of Himself. And what was He conscious
of ?
Of
Himself only, as “I Am-That-I-Am”, as the Great “I”... It was Pure,
Universal Self-Awareness – Ātman... Because it asserted itself as the
“Aham”, we call it “I-AM”. It has no other name... because God is Pure
Self-Consciousness. This is the reason why, says the Upanishad, that
even today people refer to themselves as “I”... This feature of
assertion as the “I” or the “me” in all individuals is due to the
original assertion of the Absolute as the “I”...
That
Being, the Original Universal Aloneness, began to contemplate Itself in a
peculiar manner. This Self-contemplation of the Universal Oneness is
the beginning of the Will to create. It felt that It was alone, and
willed to be other than Itself. It was dissatisfied with Its aloneness,
as it were... [The Upanishad] tells us that It did not wish to be
alone. “Let me be
many and see Myself as the variety of things”. In order to become the
many, It became two, first... There was a simultaneous urge to become
two, and also to become one. Here is the enigma of desire... The Origin
of Cosmic manifestation necessitates the acceptance of an original
split which caused a self-contradictory feeling of separation and unit
simultaneously, as is there between a husband and wife... » (Swami
Krishnananda)
« Un lotus en
pleine floraison
n'est pas de la boue parce qu'il trempe ses racines dans la boue, et la
boue ne pourra jamais donner une fleur s'il n'y a pas au milieu de
cette boue un germe contenant toutes les potentialités d'une
fleur. » (S.B. Das Gupta 1961)
Judaïsme
« Choisir la vie : le bonheur d'être. » (Benjamin Gross 2014)
« Pour le judaïsme, la vie est bonne. [...] Il n’y a pas de
place
pour le
masochisme ou pour le dolorisme. La Torah, qui est vie, a été donnée
pour
l’épanouissement et le joie de l’homme, pour accroître et fortifier sa
vie,
non pour le faire souffrir et mourir. » (Sr M. Despina 1974)
« Le judaïsme ne préconise ni n’encourage la multiplication
des
jeûnes
et des pénitences ; il les déconseille même
formellement :
“L’homme
ne doit pas se torturer par des jeûnes... car il est dit (Gen.
2,7) : l’homme
devint un être vivant ; l’âme que je t’ai donnée,
garde-la
vivante !”
(Talmud, Taanit 22b). La Tradition juive n’a jamais considéré cette vie
comme une “vallée
de larmes” utile seulement pour obtenir la vie éternelle – encore que
les antisémites
de tous les temps ne se soient pas privés de faire souffrir et massacrer
les juifs.
La nature humaine n’a pas à être réduite en tant que basse et
pécheresse ; la
vie terrestre n’a pas à être opprimée et cette vie n’est pas une simple
épreuve :
elle est un don de Dieu qui ne saurait être que bon et
utile. » (idib.)
« Les joies légitimes de la vie sont un don de Dieu dont il
serait
indigne de faire
fi : elles doivent servir d’occasion pour louer le Créateur. “L’homme
devra rendre compte
des plaisirs permis qu’il s’est refusés” (Talmud Jer. Kidd.
IV,12). » (ibid.)
« Bien que
surtout masculines,
les
références que la Bible contient pour parler de Dieu sont aussi
maternelles. Il est vrai que la conception de la maternité dans la
Bible est peu professée ; il existe toutefois assez d’indications que
l’Israël ancien a loué des aspects maternels de Dieu. Ainsi, notre Père
céleste aime comme une mère. Dieu montre de la tendresse, il porte dans
ses bras, il connaît les douleurs de l’enfantement... Relevons le terme
Rahamim,
qui signifie
“tendresse”, souvent celle de Dieu pour son peuple ; c’est le
pluriel de sein
maternel, utérus :
ce terme confère à la bienveillance de Dieu un caractère de tendresse
quasi charnelle. » (Valérie Pujol-Duval 2002)
« Ce qui me chagrine dans les jugements sévères de Jésus sur
les
scribes et les pharisiens est que je suis l’un de ceux qui pratiquent
les observances des scribes et des pharisiens. […] Jésus a érigé un
barrage de critiques si puissant contre des gens comme moi que depuis
ce temps jusqu’à aujourd’hui ‘pharisien’ est devenu un terme générique
au sens d’hypocrite. […]
Nous qui essayons d’obéir à la Torah et d’accomplir les mitsvot
[commandements], nous
croyons que ce faisant nous observons l’alliance qui nous unit à Dieu :
la Torah nous dit que c’est cela que Dieu attend de nous […]. Tel est
le but de la vie sous la Torah : la sanctification de la vie de tous
les jours à travers nos actions quotidiennes. » (Jacob Neusner 2008)
« Les points essentiels de la conception judaïque de la vie me
paraissent
être les suivants : affirmation du droit à la vie pour toutes
les
créatures ; la vie de l’individu n’a de sens qu’au service de
l’embellissement et de l’ennoblissement de l’existence de tous les
êtres vivants ; la vie est sacrée, c’est-à-dire qu’elle est la
valeur
suprême de laquelle doivent dépendre toutes les évaluations
morales ;
la sanctification de la vie super-individuelle entraîne la vénération
de tout ce qui tient à l’esprit. […]
Mais il se trouve autre chose dans la tradition
judaïque ;
c’est ce qui
apparaît si magnifiquement dans maints psaumes, une sorte d’ivresse
joyeuse et d’étonnement en présence de la beauté et de la sublimité de
ce monde. » (Einstein 1934)
Christianisme
« Les Juifs
demandent des
miracles et
les Grecs recherchent la sagesse ; mais nous, nous prêchons un messie
crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens... »
(Saint Paul, Première
épître aux
Corinthiens)
« Si le Christ
n’est pas
ressuscité,
votre foi est vaine [...]. Alors aussi ceux qui sont morts dans le
Christ ont péri. Si c’est pour cette vie seulement que nous avons mis
notre espoir dans le Christ, nous sommes les plus malheureux de tous
les hommes. Mais non, le Christ est ressuscité des morts... »
(ibid.)
« Il n'y a plus
ni Juif ni Grec,
il
n'y a plus ni esclave ni homme libre, il n'y a plus ni homme ni
femme ; car tous vous n’êtes qu’un en Jésus-Christ. »
(Saint Paul, Épître aux
Galates)
« Quand vous
priez, ne soyez pas comme les hypocrites qui aiment faire leurs prières
debout dans les carrefours, afin d'être vus des hommes. En vérité, je
vous le déclare : ils ont reçu leur récompense. Pour toi, quand tu veux
prier, entre dans ta chambre la plus retirée, verrouille ta porte et
adresse ta prière à ton Père qui est là dans le secret. Et ton Père,
qui voit dans le secret, te le rendra. » (Évangile selon Matthieu)
« Aime et fais
ce que tu
veux. »
(Saint Augustin)
« Aucun homme
ne s’est donné à
lui-même son
existence. »
(Benoît XVI 2006)
« Dans le dessein de Dieu, chaque personne est unique et
irremplaçable. » (Benoît XVI 2012)
« Dieu est
Père, mais plus
encore il
est Mère. » (Jean-Paul Ier, 1978)
« John
Cooper
rapporte qu’Augustin, Chrysostome, Bonaventure et même Calvin ont
utilisé un langage féminin pour Dieu. [...]
Certaines traditions chrétiennes ont voulu résoudre le
problème
de la masculinité de la divinité en accordant une place surélevée à
Marie, mère du Christ, qu’on pourrait adorer aussi. Ainsi A. Durwood
Foster se demande si la personne de Marie ne pourrait pas avoir un rôle
plus grand dans le christianisme comme co-déesse ? On retrouve
cette
idée d’une déesse dans le mouvement de la Goddess Religion.
Mais comme le
rappellent Jürgen Moltmann et Karl Rahner, Marie ne doit pas être
divinisée pour récupérer la dimension féminine du divin. Elle n’est
qu’une femme. [...]
Dieu, par définition, transcende l’expérience
humaine et
son langage. Il est le Tout Autre. Il est Esprit (Jn 4:24). Si l’homme
et la femme ressemblent à Dieu (Gn 1), Dieu ne ressemble ni à l’homme
ni à la femme... [Il] n’est ni masculin ni féminin. Dieu a introduit la
“sexualisation” dans la création, il a créé la sexualité. Il n’est pas
lui-même sexué. De même qu’il a créé le temps, mais n’est pas temporel.
[...]
Le Fils vient du Père, c’est-à-dire que le Père, à
la
fois, engendre un fils et le met au monde : il n’est donc pas
qu’un père
masculin, il est plutôt un père maternel. [...]
En utilisant Abba,
Jésus met l’accent, non sur les traits masculins et patriarcaux, mais
sur la proximité. Jésus ne veut pas évoquer un sexe particulier ni une
autorité, mais indiquer le type de relations que nous avons avec le
Père : intime, qui prend soin de nous, où l’on est aimés,
protégés,
chéris, nourris. » (Valérie Pujol-Duval 2002)
« Je ne
comprends pas, je ne
comprends pas, je ne comprends pas les paroles dures qui sont dans
l'Évangile. »
(Maurice Bellet 1988)
« ‘Je
suis venu opposer l’homme à son père, la fille à sa mère et la bru à sa
belle-mère : on aura pour ennemis les gens de sa famille. Qui aime son
père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi.’ (Mt
10,
34-37.) [...]
L’enseignement de Jésus à propos du commandement concernant la famille
: “Honore ton père et ta mère…” (Ex 20, 12) me fait sursauter et
m’alarme. [...] Suivre Jésus m’oblige à placer son appel plus haut que
tout, même l’amour des parents : “… qui ne prend pas sa croix et ne
suit pas derrière moi n’est pas digne de moi. Qui aura trouvé sa vie la
perdra et qui aura perdu sa vie à cause de moi la trouvera” (Mt 10,
38-39). Donc, si je fais ce qu’il dit, j’abandonne mon père et ma mère,
mes frères et mes sœurs, ma femme et mes enfants. [...] Or la Torah
m’impose des devoirs sacrés envers le foyer et la famille et aussi
envers la communauté.
» (Jacob Neusner 2008)
« “Si
tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux
pauvres et tu auras un trésor dans les cieux ; puis viens, suis-moi.”
Entendant cette parole, le jeune homme s’en alla contristé, car il
avait de grands biens. (Mt 19, 16-22.) [...]
La
perfection, rien que cela ! Si au moins j’observais ce que Dieu,
connaissant ma fragilité, me demande : au moins les Dix
Commandements (ou quelques-uns d’entre eux), au moins “aime ton
prochain comme toi-même”. Perfection ? Qui en a jamais parlé,
qui
y a jamais pensé ? [...] Étant donné la fragilité de
l’humanité,
personne ne peut exiger que la perfection soit le prix à payer pour la
vie éternelle. [...] Tout ce que [les maîtres de la Torah] exigeaient
était la foi et la loyauté envers Dieu, un Dieu de miséricorde et de
pardon ferait le reste. [...]
Et pourtant, j’ai le
sentiment qu’une réduction radicale s’est opérée quand nous sommes
passés de la perfection au “suis-moi”. [...] Quelle est en vérité la
plus haute valeur dans la vie ? Jésus répond : “Suis-moi” ; la Torah
répond : “Soyez saints, car je suis saint.” » (ibid.)
« Les hommes
confrontés au
silence et à
l'absence de
Dieu – et plus que jamais lors des grands drames du XXe siècle – ont de
leur
côté pris bien souvent l'initiative d'interpeller Dieu, comme le firent
avant
eux Job, comme les prophètes et les psalmistes aux heures de détresse
et comme
le fit lui-même le Christ sur la croix : “Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi
m'as-tu
abandonné ?” (Ps 22, Mt 27, 46, Mc 15, 34).
À force d'appeler dans le vide, certains
désespèrent
et voient dans le silence de Dieu la preuve de son inexistence.
D'autres,
malgré leur propre désarroi, vivent de bout en bout l'épreuve en
persévérant
dans leur foi. “Mais c'est l'agonie toute pure, sans un mélange
de
consolation”, confiera Thérèse de Lisieux. “C'est en moi de
terribles
ténèbres. Comme si tout était mort, en moi, car tout est glacial”,
écrira Mère
Teresa.
[...]
Pourtant,
Dieu continue de parler. Mais, comme le montre le récit
biblique d'Élie à l'Horeb (1 R 19, 8-18), la discrétion est la
marque de
sa
Parole. Dieu ne se manifeste pas dans le grandiose, mais dans le cœur
de
l'homme à l'écoute. En entrant dans le silence, en lisant les
Écritures, il
arrive ainsi que le croyant fasse l'expérience qu'une parole lui est
personnellement adressée. » (Martine de Sauto 2011)
« Ce qui
m’étonne, dit Dieu,
c’est
l’espérance.
Et je n’en reviens pas.
Cette petite espérance qui n’a l’air de rien du tout.
Cette petite fille espérance.
Immortelle. » (Charles Péguy 1929)
Regards chrétiens sur l'Évolution
« Les théories de
l’évolution qui, en
fonction des philosophies qui les inspirent, considèrent l’esprit comme
émergeant des forces de la matière vivante ou comme un simple
épiphénomène de cette matière sont incompatibles avec la vérité de
l’homme. » (Jean-Paul II, 1996)
« Avec
l’homme,
nous nous trouvons donc devant une différence d’ordre ontologique,
devant un saut ontologique, pourrait-on dire. Mais poser une telle
discontinuité ontologique, n’est-ce pas aller à l’encontre de cette
continuité physique qui semble être comme le fil conducteur des
recherches sur l’évolution, et ceci dès le plan de la physique et de la
chimie ? La considération de la méthode utilisée dans les divers ordres
du savoir permet de mettre en accord deux points de vue qui
sembleraient inconciliables. Les sciences de l’observation décrivent et
mesurent avec toujours plus de précision les multiples manifestations
de la vie et les inscrivent sur la ligne du temps. Le moment du passage
au spirituel n’est pas objet d’une observation de ce type, qui peut
néanmoins déceler, au niveau expérimental, une série de signes très
précieux de la spécificité de l’être humain. Mais l’expérience du
savoir métaphysique, de la conscience de soi et de sa réflexivité,
celle de la conscience morale, celle de la liberté, ou encore
l’expérience esthétique et religieuse, sont du ressort de l’analyse et
de la réflexion philosophiques, alors que la théologie dégage le sens
ultime selon les desseins du Créateur. » (ibid.)
« [Dans la perspective
darwinienne,
l'homme] n’apparaît pas seulement comme sortant d’une longue évolution
des espèces animales (cela est une question après tout secondaire,
purement historique), mais bien comme sortant de cette évolution
biologique sans
discontinuité métaphysique,
sans qu’à un moment donné, avec l’être humain, quelque chose
d’absolument nouveau commence dans la série : une subsistance
spirituelle impliquant à chaque génération d’un être humain qu’une âme
individuelle est créée par l’auteur de toutes choses et jetée dans
l’existence pour une destinée éternelle. » (Jacques Maritain
1936)
Pascal
« Le silence éternel de ces espaces infinis
m’effraie. » [206]
« Que l’homme, étant revenu à soi, considère ce
qu’il est au
prix de ce
qui est ; qu’il se regarde comme égaré dans ce canton détourné
de
la nature [...]. Qu’est-ce qu’un homme dans
l’infini ? » [72]
« Quand je considère la petite durée de ma vie, absorbée dans
l’éternité précédant et suivant, le petit espace que je remplis et même
que je vois, abîmé dans l’infinie immensité des espaces que j’ignore et
qui m’ignorent, je m’effraie et m’étonne de me voir ici plutôt que là,
car il n’y a point de raison pourquoi ici plutôt que là, pourquoi à
présent plutôt que lors. Qui m’y a mis ? Par l’ordre et la
conduite
de qui ce lieu et ce temps a-t-il été destiné à
moi ? » [205]
« Car enfin, qu'est-ce que l'homme dans la
nature ? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du
néant, un milieu entre rien et tout. Infiniment éloigné de comprendre
les
extrêmes, la fin des choses et leur principe sont pour lui
invinciblement cachés dans un
secret impénétrable, également incapable de voir le néant d'où il est
tiré et
l'infini où il est englouti. » [72]
« L’homme n’est
qu’un roseau, le
plus
faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que
l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau,
suffit pour le tuer. Mais, quand l'univers
l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce
qu'il sait qu'il meurt, et l'avantage que l'univers a sur lui,
l'univers n'en sait rien. » [347]
« Tous les corps, le firmament, les étoiles, la terre
et ses royaumes, ne valent pas le moindre des esprits ; car il
connaît tout cela, et soi ; et les corps, rien. [...] De tous
les
corps
ensemble, on ne saurait en faire réussir une petite pensée :
cela
est
impossible, et d’un autre ordre. » [793]
« Par l'espace, l'univers me comprend et m'engloutit comme un
point ;
par la pensée, je le comprends. » [348]
« L’homme est à
lui-même le plus
prodigieux objet de
la nature ; car il ne peut concevoir ce que c’est que corps,
et
encore moins ce que c’est qu’esprit, et moins qu’aucune chose comme un
corps
peut être uni avec un esprit. C’est là le comble de ses difficultés, et
cependant
c’est son propre être. » [72]
« Quelle
chimère est-ce
donc que
l'homme ? Quelle nouveauté, quel monstre, quel chaos, quel sujet de
contradiction, quel prodige ! Juge de toutes choses, imbécile ver de
terre ; dépositaire du vrai, cloaque d'incertitude et d'erreur ; gloire
et rebut de l'univers. » [434]
« L’homme n’est
ni ange
ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la
bête. »
[358]
« Quelle
raison ont-ils de dire qu’on ne peut
ressusciter ? quel est plus difficile, de naître ou de
ressusciter, que ce qui n’a jamais été soit, ou que ce qui a été soit
encore ? » [222]
« Incompréhensible
que
Dieu soit, et
incompréhensible qu’il ne soit pas ; que l’âme soit avec le corps, que
nous n’ayons pas d’âme ; que le monde soit créé, qu’il ne le soit
pas... » [230]
« Cet étrange secret, dans lequel Dieu s’est
retiré... »
(1656)
« La dernière démarche de la raison est de
reconnaître qu’il y a une infinité de choses qui la
surpassent. » [267]
Énigmes
« Plus nous ouvrons les
yeux, plus la
nuit est profonde... » (Lamartine 1830)
« [L'immensité]
est
un océan qui vient battre notre rive, et pour
lequel nous n'avons ni barque ni voile. » (Littré 1863)
« Millions of books written on every
conceivable subject by all these great minds, and, in the end, none of
them knows anything more about the big questions of life than I do. »
(Woody Allen 1986)
« Le monde où nous vivons n’est pas
seulement inépuisable. Avec la lumière, avec le temps, mystère des
mystères, avec cette chose inouïe qu’est la vie, avec cette chose plus
inouïe encore qu’est la pensée, il est aussi, et surtout,
invraisemblable. Il nous paraît aller de soi pour la seule raison que nous y sommes habitués. » (Jean d’Ormesson 2010)
« Pourquoi
l’être ?
Parce que l’être.
Que cette réponse n’en soit pas une, c'est bien clair. C’est
pourquoi la question continue de se poser. C’est ce qu’on appelle un mystère (par
différence avec un problème,
qui a une solution au moins possible), et l’être en est un, le seul
peut-être. Comment pourrait-on l’expliquer, puisque toute explication
le suppose ? L’homme interroge. Le silence lui répond. »
(André
Comte-Sponville 2010)
« Qu’est-ce donc que le temps ? Si
personne ne m’interroge, je le sais ; si je veux répondre à cette
question, je ne sais plus. » (Saint Augustin, Confessions)
« Ut cuspis sic
vita fluit, dum
stare videtur. » (Cadrans solaires)
« ...
l’existence
humaine sortant de
l’énigme du berceau et aboutissant à l’énigme du cercueil. »
(Victor
Hugo)
« L'homme
se meut entre les limites temporelles de la naissance et de la mort.
Mais parce
qu'il pense, il dépasse infiniment ces limites. » (Jean
Boisset 1945)
« ... je suis né et je
vais mourir,
nous sommes des animaux, des mammifères, qui doivent pour exister
respirer, manger et boire, dormir, se réchauffer ou s'abriter (et
uriner et déféquer — mais oui ! Et tous les jours). Et nous sommes “le
roseau pensant”, l'éveil, la pensée, la parole, l'ouverture inouïe au
sein de l'univers. Et tout ensemble. » (Maurice Bellet 1996)
« La pensée
n’est qu’un
éclair au
milieu d’une longue nuit, mais c’est cet éclair qui est tout. » (Henri
Poincaré 1905)
« Borné dans sa
nature, infini
dans ses vœux, L'homme est un dieu tombé qui se souvient des
cieux. » (Lamartine 1820b)
Varia
« Selon
l'excellente
définition
d'Auguste Comte, le matérialisme est la doctrine qui explique le
supérieur par l'inférieur. Qu'est-ce qui en fait le faux ? C'est que
précisément il est contradictoire, comme dit Aristote, que le meilleur
provienne du pire, que le moins produise le plus. Et lorsque le
matérialisme réussit en
apparence à rendre compte, dans tel ou tel cas, du supérieur par
l’inférieur, c’est que, par une subreption dont il ne s’est pas aperçu,
il a mis déjà dans l’inférieur ce supérieur que, ensuite, il croit et
semble en faire naître. »
(Félix Ravaisson 1867)
« La matière ou
les
éléments mis en
œuvre par la nature paraissent inhabiles à réaliser cette perfection,
but final des tendances universelles. Ainsi, il est évident de par
l’expérience que, dans le système des mondes, la sphère est conçue, si
l’on peut ainsi dire, comme une figure dont tous les points extérieurs
sont également éloignés du centre ; le cercle de même, etc. – Et,
cependant, il n’y a point de sphère parfaite ; la nature est inhabile à
la réaliser.
De là une distinction entre réel et idéal. »
(Proudhon 1896)
« La peur de la
mort est
d’autant
plus grande qu’on n’a pas osé vivre. [...] Oser vivre,
c’est oser mourir à chaque instant, mais c’est également oser naître...
» (Arnaud Desjardins 1989)
« Si
l'homme était une chose entre les choses, il ne saurait en connaître
aucune,
puisqu'il serait, comme cette chaise ou cette table, enfermé dans ses
limites, présent
en un certain lieu de l'espace et donc incapable de se les représenter
tous. » (Maurice Merleau-Ponty 1966)
« La personne
n’est pas
un objet.
Elle est même ce qui dans chaque homme ne peut être traité comme un
objet. Voici mon voisin. [...] Il est fonctionnaire, et il y a un
statut du fonctionnaire, une psychologie du fonctionnaire que je puis
étudier sur
son cas, bien qu’ils ne soient pas lui,
lui tout entier et
dans sa réalité compréhensive. Il est encore, de la même façon, un
Français, un
bourgeois, ou un
maniaque, un
socialiste, un
catholique,
etc. Mais il n’est pas un
Bernard Chartier, il est Bernard Chartier.
Les mille manières dont je puis le déterminer comme un exemplaire d’une
classe m’aident à le comprendre et surtout à l’utiliser, à savoir
comment me comporter pratiquement avec lui. Mais ce ne sont que des
coupes prises chaque fois sur un aspect de son existence. Mille
photographies échafaudées ne font pas un homme qui marche, qui pense et
qui veut. »
(Emmanuel Mounier 1949)
« Si on me
presse de dire
pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne se peut exprimer, qu'en
répondant : “Parce que c'était lui, parce que c'était moi”. »
(Montaigne)
« Un seul être vous
manque, et tout
est dépeuplé ! »
(Lamartine 1820a)
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