Nous sommes le 4 octobre 2010, il est un peu plus de 20h. Au détour d’un
reportage sur l’orthographe à l’Université, France 2 présente en
plein écran, dans le journal télévisé, deux exemples de mots mal définis par
certains étudiants :
HOMICIDE : « meurtre à domicile
»
GÉRONTOLOGIE : « étude des fossiles
»
(Je les avais moi-même communiqués à un journaliste du Parisien, quelques semaines plus tôt, par
téléphone, sans me douter qu’ils seraient repris à cette échelle…)
Ce qui m’a le plus frappé ce soir-là, dans la présentation qui en était
faite, c’est le besoin qu’a éprouvé la chaîne d’apporter
immédiatement la rectification, également en plein écran :
HOMICIDE : « le fait de tuer un être
humain »
GÉRONTOLOGIE
: « étude de la vieillesse »
comme si l’on craignait, en l’absence de cette correction, que les
téléspectateurs ne prennent au mot les premières définitions proposées !
Extrait sonore de l'émission
On remarquera que, dans les deux cas, l'erreur est parfaitement
analysable. S'agissant de homicide,
l’étudiant a cru être en présence du home anglais ; et pour ce qui
est du mot gérontologie (également
défini, dans une autre copie, comme « l’étude des dinosaures »), il ne
faut naturellement y voir aucune marque d’irrespect, mais simplement une
confusion avec paléontologie.
Il en irait de même pour les exemples suivants, relevés parmi d'autres au
détour de copies :
Concis : Développé Obséquieux : Relatif à la mort Occulter : Examiner Sporadique [écrit sporadict] : Drogué du sport
Les éléments latins ne sont pas mieux traités :
Centrifuge : Centre pour
réfugiés Circonlocution : Discussion en
cercle Cruciverbiste : Le verbe en croix Introversion : Qui est à l'intérieur
de la version Omnipotent : Qui a tous ses membres
(le contraire de impotent ?)
Quant aux éléments grecs...
Antiseptique : Produit pour
lutter contre les insectes Autochtone : Qui aime vivre la nuit Ephémère : Eternel Hégémonie : Caractère homogène Hémicycle : Vélo à une roue Polygame : Qui associe plusieurs
jeux Sibyllin : Très clair
Ces erreurs sont loin d’être absurdes. Elles répondent à une certaine
logique, dont on peut analyser les mécanismes :
– confusion avec un mot phonétiquement proche : occulter/ausculter, hégémonie/homogène, autochtone/noctambule ;
– mots pris à contresens : sibyllin (« clair » au lieu de « obscur »),
éphémère (« éternel » au lieu de
« passager ») ;
– fausses étymologies : polygame
(où game est pris pour un élément anglais), introversion (où version est
interprété dans son sens scolaire), hémicycle (cycle compris comme
« vélo » et hémi confondu avec uni), circonlocution, centrifuge... Le cas de obséquieux est encore plus notable puisque,
étymologiquement, il a bien la même source que obsèques (l'idée de
« suivre ») ; etc.
Pour être interprétables, ces dysfonctionnements n'en sont pas moins
inquiétants. Si certaines bourdes prêtent à sourire, les problèmes de lexique
doivent être pris au sérieux. Au mieux, ce que l’on dit risque de
n’être pas compris. Au pire, la méprise peut engendrer des conséquences
plus ou moins graves. Déjà, en 2007, Jacqueline de Linares alertait l'opinion, dans Le Nouvel Observateur : évoquant certains de nos exemples, elle y ajoutait d'autres témoignages (« Fautes en vrac... à la fac ! »). Je suis revenu sur cette question, l'année suivante, dans un article du Figaro sur la « maîtrise
du français ».
Mais le constat ne suffit pas. J'aimerais proposer, ultérieurement, quelques pistes de travail utiles,
dans la lignée des cours de « compétence lexicale » que j'ai dispensés à
l'Université. Dans l'immédiat, j'ai entrepris de constituer un répertoire des
mots problématiques, à mi-chemin du vocabulaire de base (connu de tous les
locuteurs francophones) et des langues spécialisées (à l'usage des seuls
professionnels). J'en évalue le nombre à environ 5000.