INTERROGATIONS



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Un homme allongé, dans les derniers instants de sa vie. Sur le point d'« expirer », au sens propre du terme : une conjonction ultime du souffle et de l'esprit. Voici l'instant suprême. Il rend le dernier soupir.

De sa bouche s'échappe un grand phylactère, qui exprime à la fois l'expiration de l'air et l'émission de la pensée. A l'intérieur du phylactère – ultime tentative pour dire l'indicible – un énigmatique...

?



Malgré cela, quelques convictions, ou du moins quelques intuitions :


Statut de la conscience


— Irréductibilité de l'esprit à la matière, quelles que puissent être les dépendances. Je n’ai jamais pu concevoir que nos pensées, nos sentiments, notre identité même – ce qui fait de nous quelqu’un (une personne, un sujet) – ne soient rien d'autre, en dernière analyse, qu’un simple agencement d’objets anonymes (atomes, particules, quarks, que sais-je encore ?), fussent-ils animés par des flux d’énergie. Pascal le disait déjà : ce n'est pas du même « ordre ».


— Le matérialisme, en tant que « conception » philosophique, peut-il être lui-même d'essence matérielle ?


— Un certain nombre de scientifiques voient dans l'esprit un pur produit de la matière (la chimie du cerveau) ; ne pas oublier que la science est elle-même un produit de l'esprit.


— Quand bien même l'apparition de la vie et l'émergence de la conscience résulteraient du hasard, leur existence même – le simple fait qu'elles soient possibles – révèle une propriété constitutive de la matière et de l'Univers : qu'est-ce donc que le monde, pour que la vie et la conscience aient pu y naître, même aléatoirement ? Un événement fortuit ne peut se produire que s'il existe une “cause générale” qui fonde sa possibilité (Montesquieu.).


— Plus radicalement, est-il sûr qu'il faille invoquer le hasard ? L'existence d'êtres conscients (sur Terre ou ailleurs : nul anthropocentrisme) est le seul « miroir » par où l'Univers puisse se voir et se comprendre. Cette propriété semble trop fondamentale, du point de vue structurel, pour qu'on puisse la considérer comme marginale et accidentelle.


— Nous sommes « au monde », nous ne sommes pas seulement « dans » le monde, comme un simple objet. Un signe parmi d'autres : la faculté de représentation – le simple fait que nous puissions, par la pensée, nous déplacer dans le temps et dans l'espace. (Voir mon essai sur La réalité absente.)


— Ne pas sombrer non plus dans l'idéalisme. Admettre plutôt ces deux vérités contradictoires : nous comprenons le monde, nous sommes compris en lui (Pascal). Cette dialectique du double embrassement trouverait à s'illustrer dans le symbole du yin et du yang (description).


Problématique de l'au-delà


— L'existence supposée de Dieu (ou de toute autre forme de transcendance) ne garantit pas la survie. Rien ne dit que nous soyons mieux traités que les animaux. La Bible elle-même : « Tu es poussière et tu retourneras à la poussière. » (Autres citations.)


— Même la croyance à l'immortalité n'implique pas nécessairement la subsistance du moi. Dans la mystique brahmanique, les âmes individuelles retournent pour finir à l'âme universelle dont elles émanent, comme des étincelles jaillies du feu finissent par y retomber. D'autres images vont dans le même sens : le sel qui fond dans l'eau, les rivières qui se déversent dans la mer. La délivrance se traduit ici par une perte d'identité.


— La survie n’a de valeur que si elle est personnelle : toi, moi, lui, elle… Sinon, à quoi bon ?


— L'éventualité d'une survie individuelle, quelle qu'en soit la forme (immortalité, résurrection, réincarnation...) serait moins étonnante, surnaturelle, miraculeuse, que notre existence même, ici et maintenant. Le plus extraordinaire est d'être né une (première ?) fois.


Contradictions


— Le monde a-t-il un sens au-delà de l'observable ? Si oui, c'est le règne du mystère ; sinon, le triomphe de l'absurde.


— « C'est une chose étrange à la fin que le monde » (Louis Aragon, Jean d'Ormesson). L'univers observable et notre propre existence se détachent sur un fond énigmatique. Rien ne prouve que, derrière tout cela, il y ait un sens caché, rien ne l'exclut non plus.


— Irrationalité du christianisme : « folie pour les païens » (saint Paul). Qui sait ?


— Les grandes certitudes – celles des croyants, mais aussi celles des athées – ne laissent pas de m'étonner. Il y a tant de signes contradictoires !


— Pas de croyances bien définies, mais l'idée que, sans doute, nous ne savons pas tout et que nous ignorons le fin mot de l'histoire. Comme une lueur d'espérance...




Michel MATHIEU-COLAS